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Je lis au lit
28 novembre 2014

Pas pleurer de Lydie Salvayre

 

téléchargement (2)

Bien contente que Lydie Salvayre ait reçu le Goncourt. Chouette. Car elle n'a pas attendu d'avoir ce prix pour publier tout un tas de beaux textes percutants, où sa plume incisive mêle humour noir et révolte sourde pour mieux mettre au jour les turpitudes de l'âme humaine ou l'inanité de la comédie sociale.
Avec Pas pleurer l'auteur attaque pour la première fois de front son histoire familiale, donnant la parole à sa mère Montse, qui se replonge dans l'été de ses quinze ans, durant les plus beaux jours de la république espagnole naissante. La vieille dame perd la mémoire, le passé s'estompe, mais cette période précise, cet été 1936 incandescent, lui, reste bien vivant. C'est comme si le curseur de son existence était resté bloqué à ce moment de sa vie, période qui relaye aux oubliettes toutes les autres..

L'histoire de Montse, elle nous parvient d'abord à travers une langue, une voix, comme toujours dans les textes de Lydie Salvayre. Ici, une langue métissée, mêlant l'espagnol et le français intimement. C'est drôle, certes, car les mots sont déformés, hispanisés, et quand on connait le goût de Lydie Salvayre pour les registres spécialisés, par exemple celui de la justice ou de la philosophie, ou encore celui des huissiers, on sent bien combien elle s'amuse de cet esprit d'invention langagier, d'autant plus que cette créativité est spontanée chez sa mère, ni préméditée ni réfléchie. Bien sûr l'auteur en rajoute, mais pour avoir entendu souvent des personnes d'origine espagnole mêler le français et l'espagnol, finalement pas tant que ça. Et c'est un bel hommage que la fille rend à sa mère, à sa parole,  en utilisant dans un de ses livres la langue maternelle qu'elle a toujours entendue. Dans Sept femmes je me souviens bien que Lydie Salvayre dit avoir toujours eu peur de s'exprimer en public parce qu'elle craint de faire des fautes de français comme en fait sa mère.... Quand on sait que Lydie Salvayre est psychiatre, psychanalyste, on se dit que vraiment que les meilleurs sont aussi les plus modestes. Cette peur avouée de mal parler fait ressurgir la honte d'être stigmatisée en tant qu immigrée, honte qui l'a sans doute longtemps poursuivie et l'a poussée, à la suite de sa mère, à tout faire pours' intégrer comme on dit. Et voici que dans Pas pleurer, cette parole est mise en valeur, fêtée. Elle acquiert un statut "littéraire", elle dit à la fois la honte passée de l'enfant et l'admiration de l'adulte devant tant d'inventivité langagière.
Comme toujours chez Lydie Salvayre, l'émotion se dissimule derrière l'humour noir, ou la drôlerie, ou le cocasse. Ainsi les querelles de clochers dans le village, la bêtise humaine, la lâcheté, sont épinglés par l'auteur, comme elle sait si bien le faire, au détour d'une phrase ou d'un paragraphe. Cette marque de fabrique stylistique de l'auteurs'avère toutefois moins prononcée dans ce texte que dans les précédents. En effet certains épisodes de la vie de Montse ne s'accommodent plus de la rigolade. Ainsi les dernières pages, concernant la retirada, la fuite d'Espagne de Montse avec son bébé, sont poignantes...plus d'artifices pour masquer le désespoir et le dénuement de ces gens quittant leur pays livré aux fascistes. Dans un registre différent pusqu'il s'agit là du bonheur fou, les moments enchanteurs vécus par Montse à Barcelone lors de l'été 36, la découverte exaltée de la mise en pratique des idées libertaires et anarchistes, échappent également à l'humour mordant de Lydie Salvayre, pour mieux souligner que jamais en Europe, on n'avait été plus près de l'idée de la liberté et de la justice. L'esprit toujours révolté et libre de Lydie Salvayre, son engagement aux côtés des exploités et des humiliés, on le sent dans ces pages, et sa fierté aussi d'avoir une mère qui a participé à ces évènements.
Et puis, la relation mère-fille, qui est bien le noeud central de ce texte, m'a beaucoup touchée, tant elle est complexe, ambivalente. La vie de Montse lentement s'efface de sa mémoire, seul subsiste présent et vivant l'été 36, la découverte du désir, de l'amour, qui ont donné naissance à la grande soeur de Lydie. Tout ce qui a suivi... un mariage de raison avec Diego, le père de la narratrice, la naissance de Lydie, une vie de couple ennuyeuse et conflictuelle, tout cela se diluent dans la brume de souvenirs vagues et inconsistants....  Alors comment ne pas sentir ici la tristesse amère de celle qui sait être l'enfant d'un couple mal assorti ?

Ed. Le Seuil, 2014

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