La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon

N'allez pas chercher avec ce livre une biographie circonstanciée de la célèbre gymnaste surdouée, celle que je regardais, gamine médusée, à la TV en noir et blanc durant les JO de Montréal en 1976... Non ce récit est tout autre chose, une variation très personnelle autour de Nina Comaneci, mais aussi une tentative pour saisir ce qu'elle a incarné aux yeux du monde et ce qu'elle a représenté pour la Roumanie de Caucescu qui s'en est servi comme image de marque à l'Ouest. 
Nina Comaneci c'est d'abord un petit prodige dans son domaine, une tueuse. Un elfe asexué et gracile en justaucorps blanc, 14 ans, 35 kilos, qui sur la poutre défie les lois de la gravité, salto arrière sans appui sur les mains, sortie aérienne très haut dans le ciel du gymnase... Celle qui au sol semble se moquer des juges, chorégraphie enjouée et facétieuse sur un air de charleston entre deux lignes de sauts inimaginables.... Et aux barres, cela ne s'est jamais vu, sans les mains encore elle accomplit l'incroyable... Bref l'intelligence corporelle à l'état pur, une endurance exceptionnelle et une maitrise de soi à toute épreuve. Lola Lafon sait écrire cela avec talent et poésie : la beauté du geste, la pureté d'un saut, la tension de la compétition alors que tout se joue à la seconde et au millimètre. 
Mais ce livre c'est aussi le constat d'une défaite, d'une lente dégringolade. Car le corps change, grandit, les seins poussent et la gamine se transforme en femme. Et cela ne colle plus... La gymnastique est l'ennemi du corps féminin... Nina Comaneci initie le sacre des gamines championnes et la mise au rancard des gymnastes au corps de femmes. Elle-même oeuvre à sa perte...Le récit rend compte alors d'une lutte, d'un combat contre l'inéluctable. Comment tenir, ne pas grossir, se maintenir au plus haut niveau ? Le sport devient une entreprise de négation du corps : régime alimentaire de fer, entrainement de fou. Le passage du temps et les métamorphoses corporelles qu'il engendre, ce sont des thèmes essentiels dans ce livre, pour montrer que dans le sport ou ailleurs, on ne pardonne pas grand chose aux femmes.
Lola Lafon réussit à garder toute son opacité à son héroïne qui reste ainsi du début à la fin uniquement celle que l'on regarde, un corps glorieux puis mis à l'écart...mais jamais celle qui s'exprime et qui pense. On se demande avec l'auteur si la gymnaste a quelque chose dans la tête hormis l'obsession de gagner... on sent bien qu'elle n'a pas pu mûrir intellectuellement dans une Roumanie qui l'a instrumentalisée à fond, l'exibant partout comme le symbole de la réussite du régime de Caucescu. 

Une des grandes réussites du roman est alors sa part onirique, à savoir les passages où Lola Lafon rêve et imagine une correspondance fictive entre Nina Comaneci et elle-même. Donner ou plutôt inventer une parole à la championne, lui prêter une voix, tantôt ironique, tantôt laconique, c'est vraiment très bien trouvé. J'ai bien apprécié ainsi le renversement des points de vue et des clichés, lorsque l'auteur critique par le biais de son personnage certains aspects de la vie à l'Ouest et montre que nous n'avons pas toujours des leçons à donner.

Au final un texte assez éclaté, parfois décousu, un peu patchwork dans sa construction faite de court chapitres, qui m'a un peu déçue et ennuyée sur la longueur. Mais un récit toutefois très énergique et inventif... on sent que Lola Lafon est porté par son sujet, à la fois fascinée par les prouesses virevoltantes de son héroïne et très concernée par le destin de la Roumanie, pays qui a été le sien jusqu'à l'âge de 14 ans.

Ed. Actes sud, 2014

Comments

[flopaulhac]

Vous n'êtes pas la seule vu le carton que fait le livre! Mais oui c'est très réussi!

[Theoma]

un coup de coeur pour moi !