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Je lis au lit
29 août 2012

Les pays de Marie-Hélène Lafon

 

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J'avais déjà beaucoup aimé L'annonce et Les derniers indiens de Marie-Hélène Lafon, des textes courts, mais denses, au style ciselé et précis. S'il y a toujours des éléments autobiographiques dans ses romans, là il s'agit d'un récit beaucoup plus clairement lié au parcours de l'auteur. De sa ferme natale paumée dans le Cantal, en passant par les années d'études de lettres classiques à Paris, puis à sa vie choisie d'adulte dans cette ville où elle a décidé de rester, la narratrice nous livre un récit d'apprentissage extrêmement intelligent, travaillé, construit. Simple et complexe à la fois, ce qui n'est pas donné à tous les livres.

Ce qui m'a le plus interpellé et plu, c'est le point de vue qu'adopte la narratrice. Un regard apparemment neutre, un peu distancié, sans fausse nostalgie inutile ni attermoiements sur le passé. La jeune fille "déserte" quitte sa montagne, va vivre à Paris, s'adapte à un milieu culturel et social qui lui est complètement étranger, bosse dur, fait des rencontres, amicales ou amoureuses. Tout cela constitue la partie centrale du récit, les années d'éducation et d'apprentissage, librement consenties, voulues, tendues vers un seul objectif : réussir la licence. Pas de pathos inutile, de discours passéiste, mais un ton personnel, un peu étrange parfois, tant la jeune fille nous parait quelquefois énigmatique, étrangère à elle-même, sans intériorité. Mais en fait cet apparent vide intérieur rend bien compte de la vie de l'étudiante, existence à la fois "dedans" la vie parisienne et "dehors" de part ses origines paysannes.

 De part et d'autre ce chapitre central, deux chapitres plus courts, consacrés à sa famille et au "père". Le premier raconte le voyage au salon de l'agriculture de la famille auvergnate, durant trois jours, alors que la narratrice était encore toute jeune. Le dernier nous montre "le père", comme il est toujours nommé, en visite chez sa fille devenue parisienne et professeur, lors des vacances de fin d'année. Ces deux chapitres sont particulièrement réussis, le ton y est incroyablement juste pour rendre compte du point de vue de la famille paysanne. J'ai adoré la manière dont l'auteur parvient à faire penser et parler le père en restant en style indirect et à la troisième personne, tout sonne vrai, le texte est à la fois drôle et touchant pour donner la parole à ce vieux paysan qui ne se sent pas à l'aise chez sa fille à Paris, loin de son univers quotidien. Ce père, on sent que la fille l'aime et le chérit, elle en parle avec tendresse et se moque très très tendrement de lui, de ses habitudes, de ses ronchonnades, de sa façon dêtre, lorsque par exemple elle nous rappelle qu'il père ne peut vivre sans la télévision, qu'au moment des informations il ressent "une sensation de vacuité qui confinait à la crise de manque".

Et puis, Marie-Hélène Lafon est une amoureuse des mots, elle a fait des études de lettres classiques, elle aime l'étymologie et les mots rares, cela se sent dans ses textes. Mais attention, pas d'esbrouffe ni de fanfaronnades lexicales chez elle, lorsqu'elle emploie un mot rare, c'est toujours à bon escient, parce que seul ce mot et pas un autre désigne précisément la chose qu'elle nomme. Il ne s'agit pas chez elle de ramener sa science et de jouer l'érudite, non, elle nous fait partager son goût de la langue tout simplement. Ainsi, si vous ne savez pas ce que signifie "calamistré", "en grand arroi" ou encore "extrace", jetez- vous sur le dictionnaire, comme je l'ai fait d'ailleurs moi-même... Cette passion du mot juste, elle nous la rappelle d'ailleurs au détour d'une conversation entre une amie citadine et elle-même, quand elle la reprend en lui disant que les jonquilles et l'herbe verte ne poussent pas  dans les champs mais dans les près, puisque dans ceux-ci l'herbe pousse toute seule, on ne la sème pas...  Elle fait aussi un peu son inuit lorsque, dans la même page, elle ajoute que le vent de la neige s'appelle chez elle "l'écire ou la burle".

Peut-être, finalement, Marie-Hélène Lafon, n'est-elle devenue écrivain que pour cela, pouvoir dire le monde, la vie, avec finesse et précision. Pour faire des mots ses complices et amis, des compagnons qui permettent de mieux connaitre l'univers et qui aident à se sentir partie prenante de l'existence... Pour avoir la chance de vivre dans et par le langage,  une envie ret un besoin ressentis dès son enfance : au  début de son livre ne nous rappelle-t-elle pas que le nom de certains arbres n'était pas connu alors qu'elle vivait pourtant en pleine nature, "parce que manquait l'occasion de nommer les choses, et pour qui, pourquoi, qui voudrait savoir".

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Commentaires
F
J'suis bien contente que cela vous ait plu! Et que vous lisiez mon blog! Cela m'encourage à continuer. Merci!
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A
Quelle jolie lecture!<br /> <br /> Merci
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