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Je lis au lit
12 septembre 2013

Mother de Luc Lang

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Un trio : la mère, le fils et le père adoptif. Andrée, le fils, et Robert. Andrée, un monstre d'égoïsme et de folie, le fils qui tente de surnager et de se construire face à elle, et heureusement Robert, un homme exceptionnel, zen et tranquille, qui adopte le fils, lui permet de grandir et de se protéger face à cette mère bien trop envahissante. Un trio mené tambour battant par une femme survoltée, une "mother" mythomane au dernier degré, incroyablement narcissique et égoïste, hystérique, sans cesse en quête de l'amour idéal, envahissant la maison de cartons pour être prête à déménager à tout moment, toujours échafaudant des projets délirants, toujours insatisfaite, coincée entre passé et futur qu'elle modèle en fonction de ses humeurs, se fichant comme d'une guigne de la vérité et des autres.

Il s'agit là d'un livre féroce, cruel, mais aussi terriblement drôle.... car une môman pareille il vaut mieux en rire, métamorphoser cette noirceur des jours en un vaste cirque, une comédie farcesque. J'ai donc beaucoup ri en lisant Mother, j'ai adoré ces pages à l'humour décapant qui masque le sordide des situations. Les pages concernant le végétarisme vécu comme une religion par cette mère qui entraîne fils et mari dans l'aventure, et qui se fâche avec la famille à cause d'histoires de nourritures (car être végétarien dans ces années soixante passait quasiment pour une hérésie ou une perversion, "un réseau, quasi clandestin, de marginaux plus ou moins engagés dans une foi nouvelle") sont des morceaux de bravoure... et je ne vous dis rien des passages sur les lubies mystiques de la mother en question, qui s'accoquine avec la confrérie de l'Axe lumineux, groupe de joyeux foufous qui se réunissent sous la houlette du gourou maître Nakatsuka pour annoner des prières inintelligibles... On atteint là des sommets dans le délire et Luc Lang réussit là des scènes d'anthologie, loufoques et irrésistibles.

Evidemment la révolte n'est jamais loin derrière le rire... Cette mère, qui sait jouer sur la corde sensible de la culpabilité, a donné du fil à retordre à tout le monde, elle leur en a fait baver... On peut comprendre que le fils ait des envies de meurtre... On pense alors au Céline du Voyage au bout de la nuit  tant la violence et la bêtise du réel passés au filtre du style apparaissent comiques, absurdes et pitoyables.  "Elle l'accule dans la faute et la honte de soi, il voudrait la tuer, il voudrait se tuer, il ne trouve pas d'issue ni d'échappée, il est pris la main dans le sac, en flagrant délit d'inhumanité, d'ignonomie filiale, de matricide, il ne voit pas d'issue ni d'esquive, il est un personnage de Balzac, il est du masculin, égoïste et violent, il hait le masculin, il se déteste".

Mais il y a aussi beaucoup beaucoup d'émotion et d'humanité dans ce livre. Le père adoptif, Robert, apparaït ainsi comme un personnage exceptionnel, solide et toujours présent, plein d'un amour indéfectible pour sa femme et son fils, un amour entier qu'il ne remet jamais en cause. L'auteur dresse de cet homme un portrait en pointillé extrêmement touchant, il rend hommage à cette belle personne discrète et pleine de bonté, un homme qui compte. Même divorcé d'Andrée, Robert continue à prendre soin d'elle, à lui apporter à manger lorsqu'elle ne sait plus assurer le quotidien. Il est aussi, on le sent, l'amer, le repère du fils, celui qui l'a convaincu à jamais que les liens du sang ne sont rien face aux liens des affinités vraies et des goûts communs : "Il en garde une forte croyance en un lien choisi, et une indifférence soutenue pour ce qui se justifie de la famille, de la filiation, de la loi du sang, ne trouvant de consistance qu'en des rapports humains tramés par le temps  et l'activité partagée".
Et la mère, ce personnage qui, s'il a quelque peu existé vraiment, est déjà en soi un personnage de roman, la mère n'est pas non plus d'un seul tenant, d'un seul bloc, elle n'existe pas seulement par son monstrueux égoïsme et sa folie destructrice. Non, Luc Lang réussit aussi à la rendre au final très humaine, dans sa complexité et dans ses contradictions, et voilà qu'il nous entraîne avec le fils dans un élan de compassion et de tendresse lorsque ce dernier la prend dans ses bras : "C'est la seule chose qu'il peut encore lui offrir, ses bras et son torse, afin qu'ils soient ensemble réunis, dans une connivence extrême et une complicité absolue, où le fils a l'étrange sentiment et la certitude de comprendre sa mère, de la contenir tel un contenant et un continent, oui, il contient sa mère, il contient sa vie, leurs vies tout entières indissolublement liées".

Oui, j'ai vraiment adhéré à ce livre, à cette écriture... Luc Lang s'empare là de ce que je connais bien, il montre magistralement comment on peut à la fois aimer et haïr une même personne, comment on peut vouloir la chérir et la fuir dans un même mouvement, et combien les relations avec ceux qui nous sont les plus proches peuvent être terrifiantes de complexité et de contradictions.

Stock, 2012

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