La clôture des merveilles de Lorette Nobécourt

Deux écrivains que j'affectionne particulièrement, deux femmes, je veux parler d'Alina  Reyes et de Lorette Nobécourt ont le corps pour préoccupations communes dans leurs livres, mais ont aussi pour point de rencontre de virer vers le mysticisme avec l'âge... Je ne me moque pas, non, pas du tout, si cela donne au final de beaux textes. C'est le cas ma foi pour La clôture des merveilles, livre qui est à la fois une biographie succinte, une réflexion et une variation à partir de la vie et de l'oeuvre de la mystique allemande Hildegarde de Bingen qui a vécu au XII° siècle. Abbesse, femme de pouvoir donc, scientifique, écrivain, musicienne, cette femme exceptionnelle fascine Lorette Nobécourt. Son existence, sa façon d'être au monde lui parle, touche sa sensibilité et ses aspirations personnelles les plus essentielles. Bref l'écrivain d'aujourd'hui voit sans doute en cette femme du moyen-âge une soeur, un miroir dans lequel se trouver, une source d'inspiration et un appel au courage d'être soi.
Deux thèmes sont mis en valeur dans ce court texte : la liberté et la subvertion dont a fait preuve Hildegarde à son époque. Liberté de s'adresser aux puissants (pape, roi, abbé) selon sa pensée profonde et ses convictions, liberté d'aimer une femme, de l'affirmer et d'essayer de la retenir, lorsque l'amie doit rejoindre un autre monastère. Liberté d'exercer ses talents de médecins et de mettre en oeuvre ses connaissances sur la botanique et les herbes médicinales. Liberté d'écrivain qui va jusqu'à inventer une langue personnelle pour transcrire ses visions et ses pensées. Liberté de fonder à son tour son propre monastére.
Lorette Nobécourt s'attache donc à célébrer l'insoumission d'un tel personnage, là où, pour nous qui vivons dans une époque si éloignée, nous verrions au contraire une vie sacrifiée à un dieu hypothétique. Elle s'attache aussi à montrer que la liberté n'est pas forcément là où l'on croit, et que l'enfermement, la réclusion volontaires, "la clôture" au propre et au figuré, c'est à dire le monastère et le silence, peuvent être un espace de liberté lorsqu'on se soucie avant tout "d'habiter avec soi-même". 
L'idée est donc belle, séduisante, et le personnage fascinant c'est vrai, comme le sont tous les grands mystiques, oscillant pour qui les considère d'un oeil extérieur entre folie et inspiration, entre délire et foi. Enfermée dès huit ans dans un monastère, prononçant ses voeux à 14 ans, Hildegarde de Bingen apparaît comme un personnage volontaire, inspiré, exceptionnel.
Toutefois je n'ai pas toujours été convaincue par l'écriture de l'auteur lorsqu'il s'agit évoquer cette figure. Bien souvent le texte se fait obscur et un peu hermétique, je ne remets pas en cause la sincérité de l'écrivain qui cherche à nous transmettre sa passion, mais j'ai trouvé qu'à vouloir trop suivre les pas d'Hildegarde, Lorette s'égare un peu et perd son lecteur dans des élucubrations parfois un peu vaseuses ou des propos un peu trop alambiqués... Ou alors est-ce moi qui ne suit pas assez "allumée", assez éclairée par la lumière divine...  Oui, j'aurais voulu que l'écriture soit parfois plus humble, plus simple, qu'elle éclaire justement mieux la personnalité, ou du moins l'idée que se fait l'auteur de la personnalité de cette mystique. 

Je suis restée donc légèrement sur ma faim en fermant La clôture des merveilles, mais cette écriture a quand même le grand mérite d'être inspirée,  tout entière portée par l'admiration et la fascination de l'écrivain pour son personnage.. Car après tout ne s'agit-il pas davantage ici de Lorette Nobécourt elle-même que d'Hildegarde, le vrai sujet du texte n'est-il pas un portrait en creux de l'auteur lui-même, écrivain singulier occupant une place à part dans la littérature française, n'est-il pas cet élan, cette quête toute personnelle vers une vie plus libre et une forme d'absolu ?

Ed. Grasset, 2013