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Je lis au lit
19 septembre 2013

Kinderzimmer de Valentine Goby

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Certains me diront que tout a été dit depuis Primo Levi ou Robert Anthelme sur le sujet, qu'ajouter de plus? Une fiction de plus? Je ne suis pas d'accord, je pense au contraire que l'on doit dire et redire l'univers des camps de concentration, chaque récit ou roman supplémentaire ajoute sa pierre à l'édifice de la mémoire, et cela est d'autant plus important que le temps passe, que nous nous éloignons de cette époque. Bien sûr il ne s'agit pas de dire n'importe quoi n'importe comment...

Avec Kinderzimmer Valentine Goby réussit un récit magistral. Elle s'empare d'un sujet dont je n'avais jamais entendu parler : la maternité à Ravensbrück, la "chambre des enfants" : Kinderzimmer. Au coeur de l'enfer, voici un lieu dévolu à la vie, où l'on permet aux nouveaux-nés d'exister et aux mères de venir les nourrir... du moins si les uns et les autres sont assez forts pour survivre ... les conditions de vie étant effroyables... J'ai été sidéré d'apprendre que les nazis avaient organisé au sein de Ravensbrück ce genre de lieu... Ultime sursaut pour se donner bonne conscience, tentative inconsciente d'échapper à la culpabilité, envie incompréhensible de donner une chance à la vie malgré tout...ou au contraire sommet de la cruauté et du sadisme ? Car ce lieu frôle l'absurde puisqu' à l'âge de trois mois, les bébés ne peuvent plus être allaités par leur mère et sont donc quasiment condamnés à mourir...
Valentine Goby suit Mila, jeune déportée politique, enceinte, du printemps 1944 au printemps 1945. Une année insoutenable où le quotidien des déportées est décrit par le menu, et où elle donne naissance à James. La présence de ce bébé devient une raison d'être et de survivre non seulement pour sa mère, mais aussi pour les compagnes de Mila, qui trouvent là un sujet d'espérer, une manière de croire en la vie. Tout le monde s'organise pour aider la mère à nourrir le bébé quand le lait vient à manquer, il faut se procurer coûte que coûte un peu de lait condensé et aussi du charbon pour chauffer la nurserie l'hiver... "la vie devient une affaire collective". Le récit montre encore une fois comment ces femmes devaient développer des trésors de débrouillardise et d'organisation pour survivre au jour le jour.

L'écriture sobre et précise de ce récit permet donc de visualiser et de concrétiser dans toute sa force effroyable la vie dans un camp  comme Ravensbrück (camp dit "de travail"). Mais le livre s'avère vraiment réussi parce qu'il adopte un véritable point de vue, un angle d'attaque. Valentine Goby parvient à nous mettre dans la peau de celle qui découvre pour la première fois un camp de concentration, ses règles absurdes mais incontournables. Et cela à partir d'une scène initiale très bien choisie : une jeune lycéenne remarque, lors d'une rencontre organisée dans sa classe avec l'ancienne déportée, que finalement elle ne sait rien des camps, comme Mila ne savait rien lorsqu'elle est partie pour l'Allemagne. Il faut donc restituer cette ignorance primordiale et montrer au lecteur comment peu à peu on s'adapte, on survit, on intègre les règles du camp qui deviennent le seul horizon. Ainsi lorsque le terrible hiver arrive, que le froid s'installe, Mila se demande ce qu'est l'hiver au camp : "Est-ce qu'on chauffe les blocks? Est-ce qu'on reçoit des couvertures? Un vêtement supplémentaire? Est-ce qu'on travaille dehors moins longtemps?"... autant de questions pour dire l'ignorance   et tenter de transmettre l'état d'esprit de la jeune femme alors. Et j'ai vraiment été secouée par les paroles de Teresa, l'amie de Mila, celle qui la soutient et l'accompagne jusqu'au bout, paroles soulignant souvent que la seule réalité est celle d'ici et maintemant, qu'il faut vivre au jour le jour à Ravensbrück comme on vivrait ailleurs, que c'est la même chose : ajouter les jours aux jours, peu importe les conditions.
J'ai beaucoup aimé aussi les petites phrases sous forme de listes pour évoquer les conversations des déportées. Ces propos très courts s'ajoutant les uns autres sur une à deux pages donnent la paroles à ces femmes,  les individualisent, les humanisent, et l'auteur n'hésite pas parfois à faire sourire, pour souligner la personnalité de l'une ou l'autre.

Lisez ce livre, lisez-le absolument. Valentine Gony a écrit là un livre inoubliable, modeste et puissant à la fois. 

Ed. Actes Sud, 2013

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