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Je lis au lit
3 juin 2013

L'amour sans le faire de Serge Joncour

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Gros coup de coeur pour ce roman dont j'avais retardé la lecture depuis l'automne 2012 malgré mon envie de le lire. En effet, j'avais vu et écouté Serge Joncour dans une émission pseudo-littéraire dont je ne citerai pas le nom et vraiment ce gars m'avait plu, intéressée et touchée. Il détonnait au milieu des auteurs invités ce soir là, avec sa barbe un peu hirsute, son vieux pull marron et surtout par ses propos directs et francs, non dénués d'humour en plus ce qui ne gâche rien. 

Et je n'ai pas été déçu, le livre est à l'image du bonhomme. Ce roman est vraiment très beau, d'une sincérité et d'une tendresse rares, il m'a touchée au coeur, j'y ai trouvé une réelle osmose entre l'écriture et l'histoire racontée... l'histoire de deux personnages malmenés par la vie qui au terme de quelques jours passés ensemble vont entrevoir peut-être comment redessiner les contours de leur vie.
Franck revient dans la ferme de ses parents après dix ans d'absence, après la dispariton de son frère Alexandre mort bien des années auparavant. Là, il fait la connaissance d'un petit garçon de cinq ans qui vit en permanence à la ferme et de sa mère, Louise,  l'ancienne compagne du frère de Franck, venue pour se reposer quelques jours. Louise vit seule désormais à la ville, elle est en train de perdre son travail, on la sent à la dérive, harcelée par le père de son enfant. Franck, lui, sans que ce soit clairement explicité, sort d'une grave maladie et vient de rompre avec sa compagne au terme de dix ans de vie commune.Entre ses deux personnages fragilisés, va se nouer une très belle complicité, une entente tacite : "Parfois il arrive de se sentir instantanément proche d'êtres dont on n'a pas vraiment fait la rencontre, mais naturellement un lien se tisse, sans effort, sans volonté, par le seul fait d'une gigantesque coïncidence". Et l'attirance qui naît entre ces deux êtres, l'amour peut-être "non réalisé mais ressenti jusqu'au plus intime", empêché par le souvenir du frère disparu, Serge Joncour sait l'écrire merveilleusement, au fil de petits détails matériels, dans les attitudes et les comportements.

La force du roman tient aussi à l'attention portée aux autres personnages et aux relations qu'ils tissent avec Franck. Le rapport aux parents, ce couple d'agriculteurs taiseux, est tout s'implement bouleversant, fait de non-dits et de rares paroles... le silence ici est violent, il cache des émotions fortes et extrêmes, entre amour et haine. 
Et puis il y a le petit Alexandre, qui porte le même nom que le frère disparu. Cet enfant bavard et curieux, plein de vie, force les adultes à sortir de leur mutisme, à briser leur carapace. Il est le centre solaire du livre, celui autour de qui les autres gravitent, celui qui pique la caméra que le narrateur transporte toujours avec lui pour se donner une attitude et se protéger. Il force ainsi Franck à inverser les rôles, à à devenir vraiment acteur de sa vie, le "filmeur" devenant filmé. 

Et puis comment ne pas parler de la place que tient la nature dans ce roman. Nous sommes ici dans le massif central, dans le Lot visiblement, dans un certain désert français, comme la Lozère ou encore la Creuse... Tous ces territoires,  pour ceux qui ne les connaissent pas, apparaissent comme des no-mans land misérables peuplés de rares sauvages...   Enfants, Franck et son frère se grisaient pourtant de cette vie au sein de la nature et comparaient leur coin avec le Montana, tout à leur rêve de vivre dans un espace vierge et immense. Serge Joncour, on s'en rend compte très vite, connaît bien ces terres, ces fermes isolées, plus ou moins laissées à l'abandon, ces gens qui se battent pour y rester. Comme son narrateur peut-être a-t-il fui lui aussi vers la ville, vers une autre vie, tout en gardant le souvenir, les images et les sensations vives d'une vie passée à la campagne. Il sait décrire avec précision et justesse cette nature, au fil de longues phrases au rythme fluide, se déroulant sans à-coups, et nous immerge dans ces paysages, dans ces vallées entourées des grands Causses, dans la forêt domaine des sangliers.

Serge Joncour est plein de courage, il n'a pas peur de plonger dans l'émotion pure, au coeur de ce qui fait mal, ou en plein dans ce qui bouleverse. Quand on se hasarde sur ce terrain là, le danger est de tomber dans un sentimentalisme fleurtant avec le ridicule, dans le romantisme ou le lyrisme bêbête... Mais ce n'est pas du tout le cas, l'écriture ici reste toujours juste, car toujours à la limite de la retenue, elle n'en fait jamais trop, l'émotion surgit d'autant plus forte que tout est exprimé avec pudeur. J'ai senti aussi, comment expliquer cela... l'implication et la sincérité totales de l'auteur... il croit entièrement à ce qu'il dit, l'écriture est inspirée, respirée, vécue. Moi je dis bravo et merci.

Ed. Flammarion, 2012

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