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Je lis au lit
11 octobre 2017

Prix Goncourt, bilan d'étape

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Je ne m'impose pas chaque année la lecture de tous les livres sélectionnés pour le prix Goncourt, mais comme une classe de mon lycée a été choisie pour participer au prix Goncourt des lycéens, et que la liste est la même...en avant. 

A ce jour j'ai lu huit romans de la sélection....petit bilan d'étape.

Je vais passer rapidement sur Nos vies de Marie-Hélène Lafon, court roman certes travaillé au niveau du style et pas inintéressant en ce qui concerne le sujet -pour combler sa solitude, une retraitée invente les vies de personnes croisées au supermarché, et incarne ainsi une figure possible du romancier- mais qui reste pour moi un exercice de style, le développement d'une nouvelle écrite précédemment par l'auteur.
Passons vite aussi sur La disparition de Josef Mengele de Olivier Guez, qui suit le parcours du tristement célèbre médecin des camps de la mort après sa fuite en Amérique latine. Là-aussi un vrai sujet -un monstre traqué connait enfin  l'angoisse d'être pourchassé comme l'ont été ses victimes-, mais le style informatif et journalistique du récit m'a carrément laissée sur le carreau et ennuyée. 

Trois jours chez ma tante de Yves Ravey m'a davantage plu, il était temps, avec une cocasse histoire de neveu revenu d'Afrique pour soutirer de l'argent à une vieille tante qui ne va pas laisser sa part au chat. Mais bon, un Yves Ravey moyen ... il faut attendre la seconde moitié du roman pour que le récit décolle, devienne vraiment grinçant et drôle.

Venons-en plutôt au troisième livre de François-Henri Désérable, Un certain M. Piekielny. Enquête tout à la fois littéraire et géographique autour d'un personnage de La promesse de l'aube de Romain Gary, ce récit ressemble à un journal de bord qui avance masqué entre autobiographie et digressions autour de l'oeuvre et la vie du grand écrivain... cela va plaire ou agacer, c'est selon. Agacer les lecteurs fervents de Romain Gary qui vont trouver là un texte qu'ils vont juger prétentieux, potache et superficiel. Plaire si l'on considère que Désérable joue et prend le parti de faire rire de lui,  emprunte le costume du narrateur qui se moque de lui-même et rend avant tout hommage à un auteur qu'il adore. En discutant ça et là, je vois bien que les lycéens trouvent l'humour de l'auteur à leur goût, apprécient le ton léger de l'ensemble, et que Désérable leur donne envie de se plonger dans les livres de Gary... Alors rien que pour ça c'est gagné. J'ajoute pour ma part que la seconde partie du roman s'avère plus profonde...  Désérable se souvient alors que s'agissant de Romain Gary l'humour va toujours de pair avec la douleur. 

 Une jolie découverte maintenant avec Summer de Monica Sabolo, un roman à la Laura Kasischke, à la fois dans l'ambiance sociale et famialiale très américaine et dans la manière de mêler lumière et ombre, innocence et sordide. Summer est une jeune fille de bonne famille qui disparait mystérieusement un jour d'été... 
des années après son frère revient sur ce traumatisme. Petit bémol, le roman souffre d'un défaut de narration, j'ai souvent eu l'impression que le texte piétinait et s'enlisait. Mais j'ai aimé le style tout en sensibilité et poésie de cette histoire, les métaphores filées aquatiques qui  l'accompagnent, suggèrant combien sont glauques les secrets de famille dissimulés en eau trouble et profonde, bien en-dessous de la surface ensoleillée qui miroite. Un texte qui possède une dimension cinématographique et visuelle très réussi. Un joli moment de lecture.  

Le trio de tête?

Nos richesses de Kaouther Adimi, j'en ai déjà parlé précédemment ici  http://lisaulit.canalblog.com, et de manière élogieuse. Roman fort agréable et prenant,   ode à la littérature et aux hommes qui ont foi en elle, et retour désenchanté mais aussi révolté sur les relations franco-algériennes.

Alice Zeniter, dans L'art de perdre, s'empare elle aussi de l'histoire de l'Algérie à travers le destin d'une famille dont l'histoire va être complètement chamboulée par la grande histoire. Naïma, double romanesque de l'auteur, revient sur son passé familial, interroge le silence, met au jour dans cet ample récit le parcours de ses grands-parents paternels kabyles puis de ses parents. Ali, le grand-père a pris le parti des français durant la guerre en voulant protéger sa famille ... il a mal choisi son camp, ou plutôt n'a pas compris les enjeux d'un conflit qui le dépassait. Le futur d'Ali (qui est déjà un passé lointain pour Naïma au moment où j'écris cette histoire) ne parviendra pas à faire changer sa manière de voir les choses... Il demeure à jamais incapable d'incorporer au récit de sa  vie les  différentes composantes historiques ou peut-être politiques, sociologiques, ou encore économiques qu feraient de celui-ci une porte d'entrée vers une situation plus vaste, celle d'un pays colonisé, ou même -pour ne pas trop en demander- celle d'un paysan colonisé...Comme nombre de harkis il fuit son pays à l'indépendance par peur des représailles et se retrouve dans un camp de transit à Rivesaltes puis en Hlm en Normandie. Son fils Hamid, âgé de 4 ans à son arrivée en France, tiraillé entre un passé dont il ne sait pas grand-chose et la volonté de s'intégrer, ne parlera jamais de l'Algérie à sa fille Naima. Alice Zeniter a réussi là une fresque ambitieuse et panoramique, incarnée et portée par des personnages qui ne sont jamais des prétextes pour peindre un arrière plan historique. Ma préférence va vers le beau personnage de Hamid, lui qui dans son silence douloureux et révolté, rejettera toute sa vie son pays natal et ses origines. Et puis, les grandes étapes du récit étant ponctuées par des scènes et des dialogues extrêmement bien menées, L'art de perdre se lit et captive comme un roman d'aventures. Alice Zeniter, on le sent, a l'oeil et la fibre théâtrale, elle sait camper une situation et mettre en parole et en scène ses personnages. Beaucoup d'humanité se dégage de ce roman, qui pourtant joue aussi son rôle documentaire pour renseigner sur un passé commun, que l'on soit d'origine française ou arabe. Un livre nécessaire.

Pour finir Tiens ferme ta couronne de Yannick Haenel. Voici un curieux objet, texte un peu foutraque et détraqué dans le bon sens, baroque. La trame? Parlons plutôt de point de départ. Le narrateur, un écrivain sans le sou qui vit seul dans un petit studio parisien, présente à Mickaël Cimino un scénario de 700 pages sur la vie de Melville, l'auteur de Moby Dick, ou plus précisément sur la pensée du grand écrivain, comparable, pour citer le narrateur qui cite Melville à propos de son cachalot, à " l' intérieur mystiquement alvéolé de sa tête". Tout un programme... Pour ma part je dirais simplement que Tiens ferme ta couronne cause d'amour et de désir, de littérature, de cinéma et d'art en général, bref de la beauté et du mystère de la vie quoi, et qu'il suit les périgrinations souvent cocasses du narrateur. Pérégrinations artistiques donc puisqu'au fil du texte nous sommes amenés à revisiter Moby Dick, La porte du paradis de Cimino, en passant par Apocalypse now de Coppola ou encore Les métamorphoses d'Ovide, pour finir devant le Retable d'Issenhein et sa crucification du Christ. Ah j'oubliais, vous rencontrerez aussi dans ce livre Isabelle Huppert et un serveur de restaurant sosie d'Emmanuel Macron, un chien mystérieusement disparu nommé Sabbat et une très belle jeune femme, Léna, dont le narrateur tombe éperdument amoureux...
J'ai parfaitement conscience de la confusion de mon résumé... parler du scénario de ce roman n'est pas très judicieux car sa beauté vient d'ailleurs et pour commencer de sa liberté de narration et de ton. De son style aussi évidemment, un style très maitrisé pour justement écrire le manque de maitrise et qui passe sans complexe de la poésie la plus imagée au cocasse le plus trivial. Haenel réussit là un texte audacieux et virtuose, tout à la fois très drôle et très profond pour évoquer la place de l'art dans nos vie. Bref laissez-vous porter au gré de cette belle écriture inspirée, posez les armes. Un bon lecteur est un lecteur qui accepte de se laisser surprendre et déranger non ?

 

 

 

 

 

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