Avoir un corps de Brigitte Giraud
Un livre sur le corps, le corps féminin... le projet est séduisant, je pense d'entrée à Alina Reyes, à Caroline Lamarche ou à Lorette Nobécourt... Ou encore... ouille... à une version masculine du Journal d'un corps de Pennac. Brigitte Giraud se lance là dans un récit disons chronologique de l'existence et de la conscience que l'on peut avoir de son corps, de la petite enfance à la maturité. Une femme parle, une voix s'exprime, sans doute inspirée par l'expérience de l'écrivain elle-même, car comment faire autrement en se lançant dans un sujet si... personnel? Plus précisément il est question ici de l'étroite "collaboration" entre le corps et l'esprit, de leur mutuelle influence l'un sur l'autre, fémininement s'entend. D'ailleurs, d'après ce que j'ai compris, ce livre est né d'un travail antérieur, d'un projet de chorégraphie et de lecture dansée et donc d'une réflexion sur le rapport entre le corps et les mots.
Le premier tiers du livre disons m'a paru fort fade et l'écriture fort plate... Je me suis demandée si l'auteur avait vraiment quelque chose à dire et si son sujet l'intéressait vraiment. Mais comme j'aime ce que fait en général Brigitte Giraud, j'ai persévéré, et j'ai bien fait. En fait, l'enfance, la jeunesse, l'insouciance, ne sont pas les vrais sujets du livre. A la limite le livre pourrait s'en passer, il ne s'en porterait pas plus mal et éviterait au lecteur ce début si ennuyeux. Ce qui est seulement souligné, de manière si juste, c'est que la particularité de la jeunesse est de se moquer comme une guigne du temps qui défile :"Les années passent, sans que nous ayons conscience de notre jeunesse, de l'immensité du temps que nous avons devant nous, et dont nous n'imaginons pas qu'il est à l'origine de notre toute-puissance. .. Je me crois définitivement dans le camp des moins de trente ans, et je n'en tire aucun plaisir, aucune satisfaction."
Là où le texte devient vraiment accrocheur, prend son envol, c'est lorsqu'apparaissent d'autres thèmes : les bouleversements dues à la sexualité puis à la maternité, désirée ou pas d'ailleurs, l'amour maternel exaltant et puissant, envahissant mais aussi aliénant, la douleur de la perte qui terrasse à la fois le corps et l'esprit. Comme souvent dans les récits de Brigitte Giraud, l'essentiel est mis au jour dans les périodes de basculement, de changement, de perturbation intense.
Les derniers chapitres de Avoir un corps sont même bouleversants. J'ai fini le livre en pleurant, chamboulée par ces mots, cette écriture disant l'effrondrement du corps qui capitule lorsque la douleur morale, la violence de la perte et du deuil se font trop fortes, quand les petits gestes du quotidien... se lever, cuisiner... accomplis habituellement sans souci et même avec plaisir deviennent mécaniques, et quand le sommeil nous est même refusé, refuge impossible. L'écrivain décrit de manière très juste cette souffrance si difficile à comprendre pour celui qui ne l'a pas connue, la douleur et cette fatigue paradoxalement très physiques de celle, qui terrassée par la dépression, ne sent plus son corps, n'éprouve plus aucun désir, a l'impression d'être déconnectée du réel, toujours à l'extérieur des choses... out.
Et lorsque tout va mieux, quand la joie et l'envie ressurgissent, j'ai terminé le livre soulagée, heureuse, aux côtés, ou plutôt avec cette femme que je venais d'accompagner dans cette épreuve.
Ed.Stock, 2013