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Je lis au lit
16 juin 2013

La réparation de Colombe Schneck

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    Le poids du silence dans les familles, ce silence mortifère et culpabilisant qui se transmet de génération en génération, tel est le sujet de ce récit. Mais ce livre est aussi une manière de briser ce silence, de faire advenir la vérité par la parole, de se libérer du poids de la culpabilité, de "réparer" par les mots, "réparer" au sens de revenir sur une injustice ou sur une perte pour estomper la souffrance qu'elle procure.

Colombe Schnek nous dit ici comment depuis toute petite elle s'est sentie dépositaire d'un secret terrible, inavouable, transmis par sa grand-mère Ginda, puis par sa mère Hélène... mais un secret vide, blanc, puisqu'elle ne savait pas ce qu'il dissimulait.
Dès la première phrase du livre, d'entrée, elle livre pourtant au lecteur une partie de la vérité, vérité qu'elle a découvert adulte : les deux soeurs de sa grand-mère, Maya et Macha, juives lituaniennes, ont perdu leurs enfants respectifs, Kalman et Salomé, gazés à Auschwitz. Toutes deux ont survécu, grâce à leur mère Mary elle-même disparue en camp, mais à quel prix... C'est ce que va nous dévoiler ce texte, récit d'un cheminement intérieur mais aussi géographique, de la France jusqu'en Lituanie en passant par les Etats-Unis et Israël.  
Au fil des chapitres nous avançons aux côtés de Colombe Schneck, lentement, vers le noeud central, la vérité indicible que sa grand-mère Ginda a cachée à sa fille puis à sa petite-fille. Ginda n'était pas en Lituanie pendant la guerre, partie bien avant de son pays natal pour poursuivre ses études en France elle s'y est mariée, retournant seulement pour les vacances en Europe de l'est. Pendant plus de cinq ans, durant la guerre, Ginda n'a plus aucune nouvelle de ses soeurs et de ses neveux. Elle les retrouvera en 1945, écoutera la terrible vérité sur les enfants de ses soeurs, rentrera en France, et ne parlera plus. Sa fille Hélène, la mère de l'auteur, ne saura presque rien, mais sa vie est "marquée de cela, de Salomé dont il ne reste rien, de la survie de ses tantes Raya et Macha". Elle a connu la vie en Lituanie d'avant la guerre, en vacances avec ses parents, cette Lituanie familiale où la vie était douce, juste avant que la population juive soit parquée dans les ghettos puis exterminée à 95 pour cent... Après la guerre, personne ne lui dit rien... qu'est-il arrivé à Salomé, sa cousine, mystère... et elle reste seule avec ses questions. De ce qu'on ne parle jamais, on y pense tout le temps... Ceux qui sont dépositaires du secret, ceux qui n'ont pas souffert directement dans leur chair de la Shoah, seront  torturés par la culpabilité toute leur vie. 

Le récit de Colombe Sneck m'a plu par sa simplicité, son ton direct et franc, tentative pour être au plus près des faits et de la vérité. La réussite du texte tient pour beaucoup dans un mélange subtil entre l'implication personnelle de l'auteur et le récit précis et un peu distancié des évènements passés. L'auteur n'hésite pas à se placer directement au coeur du récit, elle part de son expérience personnelle, elle qui se sent à la fois héritière d'un passé douloureux et tournée vers l'avenir puisqu'elle a une fille... nommée Salomé. La hantise de léguer à  Salomé, le silence et la "malédiction" qui lui ont gâché la vie,  mais aussi la relation avec sa mère, relation amputée de tendresse et d'amour... "Je ne me souviens pas qu'Hélène m'ait prise dans ses bras, m'ait dit qu'elle m'aimait"... sont au coeur du récit. De cet entre-deux, de cette faille, surgit le besoin de savoir, de se renseigner sur sa famille.
 J'ai lu alors ce texte comme une enquête, une tentative pour lire les traces du passé : quelques rares photos qui sont d'ailleurs présentes dans le livre, des lettres, des poèmes, des conversations avec les survivants qui ont bien voulu lui parler. L'écriture colle ainsi au genre de l'enquête, pas de fioritures inutiles, les faits sont relatés sans tourner autour du pot, en essayant d'être le plus juste possible, mais en évitant une trop grande distanciation... il ne s'agit pas là d'un documentaire historique mais bien d'un récit très personnel et nécessaire pour celle qui écrit.

La construction de La réparation, je m'en suis rendue compte au fil de ma lecture, n'est pas aussi simple qu'elle en a l'air et contribue à la réussite de l'ensemble. Nous partons de la vérité, je l'ai dit, mais d'une vérité partielle concernant la sélection de Mary et des ses petits enfants dans le ghetto. De cette première phrase va naître la question essentielle du livre, celle qui en est l'enjeu, celle qui a hanté l'auteur et que le lecteur va faire sienne : pourquoi les enfants et la grand-mère ont-ils été sélectionnés puis gazés en camp et pas les mères Macha et Raya? Une photo de la petite Salomé disparue est insérée aussi dès le début, répondant à celle de la fin du livre. Mais avant de savoir ce qu'il est arrivée à Salomé, avant d'accomplir le trajet d'une photo à l'autre, il faut en passer par l'histoire familiale, reconstruire de manière plus ou moins chronologique les faits. La réponse arrivera seulement dans le dernier tiers du livre, à l'occasion du voyage de Colombe Schnek en Israël, et de sa rencontre avec Gila, la fille de Macha, née après la guerre. De cette construction naît une tension, une inquiétude chez le lecteur, une identification au malaise qu'a connu l'auteur en somme.
J'ai aussi été sensible aux répétitions de phrases, qui telles des leitmotiv, reviennent dans le texte, rythmant le récit et insistant par petites touches sur le caractère obsessionnel des pensées qui sont tues. Pourquoi ai-je tout le temps peur pour mes enfants? Que reste-il de mes origines juives mis à part mon goût pour les cornichons russes ? Pourquoi Ginda qui parle plusieurs langues a-t-elle oublié le lituanien? 
Lisez ce texte. Modeste et fort à la fois, il témoigne du pouvoir réparateur que peuvent parfois revêtir les mots et l'écriture lorsque, las de subir et de se taire, on cherche à mettre ses "mots propres", selon la citation de Grossman mis en exergue, sur la mémoire de son histoire familiale tourmentée. 


  

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