Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Je lis au lit
29 septembre 2012

Lame de fond de Linda Lé

LINDA__1Un homme nous parle d'outre tombe, sa femme l'a fauché en voiture. Trois voix lui succèdent ensuite, les voix intérieures de celles qui gravitaient autour de lui et qui l'ont aimé : Lou, son épouse, Laure, sa fille de 17 ans, et Ulma, sa demi-soeur et ... maîtresse. Il ne se passe rien de plus dans ce roman choral, si ce n'est l'alternance de ces monologues, la lente immersion dans les psychés respectives de quatre personnages tentant de saisir les contours, voire la vérité de leur vie ou qui s'interrogent sur leur relation avec celui qu'elles viennent d'enterrer.

Linda Lé en profite pour brasser des thèmes qui lui sont chers, le déracinement ou encore l'absence de la mère, thèmes qui parcourent les monologues et donnent une unité à un texte qui part apparemment dans tous les sens. Van, l'homme qui est mort et Ulma, sa demi-soeur, vivent en France et ont en commun leurs racines vietnamiennes, par leur père absent, mort depuis longtemps. Alors qui est-on quand on est à la fois d'ici et d'ailleurs? L'auteur pose la question à travers la parole de ses personnages, et finit par conclure que l'on est de nulle part mais aussi de partout. Traiter ses doubles origines comme une chance et non comme un fardeau ou une souffrance, c'est sans doute le mieux à faire nous dit Van et bien de nos politiques pourraient en prendre de la graine... Ce qui importe pour Linda Lé, ce sont les artistes que l'on admire, les livres que l'on chérit, bref tout ce terreau culturel qui nous est personnel, qui nous enrichit, construit notre vie intérieure et nous aide à vivre. Là est la véritable patrie, on sent que les références à l'art ne sont pas du chiqué dans ce livre, l'écrivain ne cherche pas à nous en mettre plein la vue et à prendre la pause, non... L'art est pour Van, tout comme pour Linda Lé qui elle aussi a quitté le Vietnam a 14 ans, le meilleur à prendre dans l'existence, ce qui permet de se trouver et aussi de se trouver une patrie, de se raccrocher au réel, de rendre à la vie sa saveur et sa consistance. 

Il est plus difficile en revanche de faire face au manque de la mère. Lou, Ulma et Van, tous les trois souffrent de cette béance, chacun à leur manière. Lou parce que sa mère, enterrée en Bretagne, claquemurée dans ses préjugés et sa haine de la différence et de l'étranger n'a rien de commun avec elle, la mère et la fille sont aussi proches l'une de l'autre disons qu'une limace et un papillon. Ulma, elle, souffre d'une éducation déficiente, sa mère Justine ne l'a jamais vraiment acceptée, elle l'a tout au mieux supportée, en lui faisant bien sentir qu'elle était un fardeau pour elle, une gêne. Adulte, Ulma tente toujours de se dêpétrer de ce lien boiteux, Justine vieillissante devenant, par retour du balancier, une charge pour la fille. Enfin Van qui a quitté le Vietnam à 14 ans, n'a jamais revu sa mère depuis ce départ, celle qu'il aimait et qui l'a toujours soutenu et qu'il voulait accueillir en France est morte avant qu'il ne puisse la revoir. Pour ces trois personnages,  il faut alors s'accomoder de l'absence, de la carence affective, en bricolant comme l'on peut avec ce que l'on a.

  Ces longs monologues parcourus certes par la douleur et la souffrance donnent pourtant à Linda Lé l'occasion de se lancer dans un registre qui ne lui est pas habituel, celui d'une certaine légèreté, car la drôlerie fait bon ménage avec la gravité dans ce roman. C''est le cas lorsque les différents narrateurs évoquent des personnages secondaires. Ainsi le portrait de la mère bretonne de Lou, via sa fille, m'a fait mourir de rire, tant l'écrivain sait rendre la pensée d'une vieille bique racornie pleine de haine envers tout ce qui n'est pas français pure souche. De même Justine, la mère d' Ulma en prend pour son grade, jeune femme d'abord bohême et sans attache, traitant sa fille comme un boulet et la refilant à la grand-mère Lili, et qui peu à peu vieillit dans la rancoeur et le ressentiment lorsqu'elle s'aperçoit qu'elle n'a rien fait de sa vie. La voix de Laure, adolescente et fille de Van, sonne également très juste, elle amuse quand elle épouse le ton de la jeune fille branchée gothique pendue à son portable et sait émouvoir lorsqu'elle prend des accents élégiaques pour dire la peine d'avoir perdu son père. Bref dans Lame de fond, les phrases envoient, elles font mouche, tout un bric à brac stylistique se met en place avec brio et l'auteur, prouve encore une fois que son véritable pays c'est bien le langage.

 Ed. Bourgois, 2012

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Et aussi sur Facebook

fbook

Publicité