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Je lis au lit
15 mai 2012

Du domaine des murmures de Carole Martinez

dudomainedesmursUn roman dont l'histoire se déroule au XII° siècle et qui plus est sur la vie d'une jeune recluse qui a fait voeu de consacrer son existence à Dieu, ce n'est pas légion dans la floppée des fictions qui sortent de nos jours... en tout cas, moi, je n'ai pas l'habitude de lire ce genre de textes! Me lançant dans l'aventure, j'avoue donc avoir ressenti une certaine réticence. Quoi, une histoire baignant dans la religiosité et le mysticisme....encore une bondieuserie béni oui-oui  ou une Christian Bobinade de plus? Bobin, que, soit dit en passant j'aimais bien j'avoue dans ma tendre adolescence, mais qui aujourd'hui a de plus en plus de mal à me convaincre...
Donc me voici à suivre l'existence d'une toute jeune fille volontairement enfermée à vie dans une étroite cellule et à côtoyer au début de cette histoire une adolescente  un peu rebelle, fière, séduisante, tenant tête à son père qui veut la marier contre son gré. Elle choisit donc une solution radicale, s'enfermer dans un reclusoir comme ils disaient à l'époque hein, et cela pour échapper à une union forcée... Vous allez me dire c'est bien cher payé, moi à sa place j'y aurais peut-être réfléchi à deux fois, préférant sans doute copuler avec un époux qui ne me plait pas plutôt que de me cloîtrer à jamais, enfin bon, n'est pas presque sainte qui veut.... Les jours de l'héroïne sont alors consacrés à la prière et aux entretiens avec les pélerins, à la méditation et au silence. Mais ne vous fiez pas  à ce petit résumé qui ne résume rien...  car malgré un sujet  apparemment un peu périlleux, le récit m'a bel et bien embarqué, le personnage féminin qui nous parle là à l'oreille, Esclarmonde, celle qui éclaire le monde, mais qui nous murmure aussi  ses joies et ses douleurs, ses espérances et son désespoir, est d'une présence étonnamment charnelle, son rapport aux choses terrestres est très sensuel, elle a su très vite m'émouvoir et me toucher vivement.

Car survient très vite l'évènement majeur du récit, celui qui va tout remettre en question, tout chambouler. La jeune fille met un enfant au monde au tout début de sa réclusion et à partir de là rien ne se passe comme prévu. La vie de l'héroïne se pare d'autres couleurs, les heures s'écoulent au rythme du souffle d'un enfant, plus rien ne sera jamais pareil, le petit Elzéar "grignotte même sa place à Dieu et balaye son projet en la révélant à elle-même". L'adolescente "têtue si pleine de certitudes" de quinze ans, en devenant mère, se transforme au plus profond et en vient à regretter son projet initial quand s'approche l'épreuve de la séparation inéluctable, lorsque son fils, devenu trop grand, ne peut plus lui rendre visite en passant par les barreaux de sa petite chambre devenue alors une prison. Le récit de la séparation forcée entre la mère et son enfant, de cet arrachement au combien violent m'a bouleversée. Carole Martinez sait évoquer ce moment avec force et brutalité, décrivant la révolte de la chair et le désespoir de celle qui se retrouve à jamais éloignée de son fils. Je ne crois pas qu'il y ait une douleur plus vive au monde que la perte de son enfant et là, je me souviens de cette phrase magnifique de Camille Laurens dans Philippe : "Il y a une chose infiniment plus douloureuse que de ne pas serrer dans ses bras un homme qu'on désire : c'est de bercer dans ses bras un bébé mort". Elzéar dans ce récit bien sûr n'est pas mort mais sa mère ne pourra plus le toucher, l'embrasser, le serrer contre elle, respirer sa peau, écouter son souffle, et cela n'est-il pas presqu'aussi effroyable que de le perdre à jamais...

Voilà, Esclarmonde n'a rien d'une sainte, et j'ai aimé comment l'auteur nous transmet les doutes et le pragmatisme de son héroïne, son peu d'illusions sur la nature humaine,  sa franchise et ses doutes quand l'exaltation de l'adolescence laisse place aux regrets de n'avoir peut-être pas vécu, d'avoir tout perdu lorsqu'on lui arrache son fils de force. Non, ce roman, n'a rien d'une bondieuserie, il nous plonge dans la psyché d'une femme certes hors du commun pour nous ... car comment imaginer aujourd'hui vouloir au nom de Dieu se retirer à vie dans un reclusoir? ... et pourtant qui nous est si proche tant sa parole va droit au coeur.

Il y a donc, vous l'avez compris, de magnifiques passages dans ce livre sur la maternité, c'est vrai que ce sont les moments que j'ai le plus appréciés dans Du domaine des murmures et du coup, c'est vrai, mon compte rendu se concentre de manière un peu réductrice sur ce thème... mais ces paragraphes évoquant la fusion entre Esclarmonde et son enfant, tous deux enchâssés dans cette petite cellule de pierre comme dans une matrice protectrice, "Elzéar vivant le reclusoir comme une partie du corps de sa mère" m'ont enchantée par leur beauté et leur justesse. Belle métaphore de l'isolement merveilleux mais aussi sidérant d'évidence et de violence que l'on ressent lorsqu'on se sent seule au monde avec son nouveau né vous regardant "avec cette intensité, cette sagesse et ce calme merveilleux qu'ont les yeux des nourrissons", et que l'on est là, immobile et calme, et comme rendue sourde et aveugle au monde qui tourne pourtant autour de soi.



 

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