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Je lis au lit
23 avril 2012

L'Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello

affiche_film_L_Apollonide_souvenirs_dela_maison_close_Bertrand_Bonello_preview2Je ne vais pas vous parler d’un livre ici mais d’un film, je l’ai vu au lit aussi, et tant pis pour mon ignorance crasse en ce qui concerne les aspects techniques du septième art et ma méconnaissance du langage cinématographique. Car ce film est une splendeur, il mêle le tragique au trivial, la violence à la  douceur, le sordide au sublime. J’ai été happée, subjuguée par des images d’une beauté confondante et complètement prise de sympathie, d’empathie pour ses personnages féminins,  prostituées enfermées dans leur bordel de luxe à la charnière du XIX° siècle, vivant à contre courant de la société extérieure, travaillant la nuit, dormant le jour, se levant en fin d’après-midi pour se préparer, s’apprêter, se pomponner, afin d’éveiller les appétits de ces messieurs de la bourgeoisie bourrés de fric, venant boire champagne et s’encanailler loin de leur femme et des frustrations.
C’est tout l’univers pictural de Toulouse Lautrec qui est mis en scène ici, mais via une esthétique moins chargée de voyeurisme, plus baroque, et à travers un regard moins dur, plus  compassionnel. Car toutes les femmes de ce film, interprétées par des actrices belles comme le jour, sont magnifiques, le réalisateur accorde à chacune un regard individualisé et amoureux, elles prennent une par une leur place unique dans le ballet d’ensemble. Certaines scènes méritent d’être fixées en arrêt sur image tant les robes de soirée colorées et chatoyantes, les corps à peine voilés, les chevelures et les bijoux s’accordent dans de superbes tableaux chamarrés, érotiques et satinés. C’est ce que fait d’ailleurs Bertrand Bonello grâce à de longs plans quasi immobiles et picturaux permettant de contempler les scènes offertes à nos regards et comme surprises dans les murs de cette maison close.
Ne vous y trompez pas, bien sûr le propos est loin d’être angélique ou purement esthétisant, la beauté masque là une réalité terrifiante et on ne nous dissimule pas la misère et le désespoir de ces jeunes femmes emprisonnées et criblées de dettes, soumises à la loi de l’argent, abîmées par la syphilis et les maladies vénériennes, entièrement dépendantes des hommes, jouets et poupées au service de leur moindre désir, s’oubliant dans l’opium ou l’alcool. Pas d’espoir de sortie, si ce n’est d’être « rachetée » par un monsieur, ou d’être épousée, mais là, on comprend qu’il s’agit d’une douce utopie.
Ces magnifiques tableaux vivants prennent alors toute leur force ironique, car il y a un endroit et un envers dans cette vie, et lorsque les putains redeviennent des femmes ordinaires, des amies qui se soutiennent loin du regard des hommes, leurs conversations, leurs mots, leurs rires même sont là pour nous rappeler combien il ne faut pas être dupe de la mise en scène de la beauté. Le contraste entre le luxe du  salon et des suites consacrés aux rencontres avec les clients et le dépouillement des petites chambres de bonnes où s'entassent les filles pour dormir souligne également qu'il ne faut pas confondre la nuit et le jour. Et puis souvent, un regard las et vide, une mélancolie du geste, une fatigue des corps, dans le jeu excellent des comédiennes, suggèrent aussi beaucoup, et le spectateur attentif surprend dans les scènes de la séduction ou de l’amour préfabriqué tout le factice de la fête et le mensonge de la compagnie des hommes, sans que l'on tombe toutefois dans l'opposition manichéiste entre les sexes, certains clients étant présentés comme de bons gars. Et le procédé   qui fait apparaître parfois plusieurs images sur un seul écran  permet de souligner comment peut coexister à un même moment  jouissance, sadisme, misère, plaisir, avilissement, violence imposée ou subie, selon le rôle que l’on joue dans cette partition.

dbb956fd4e61ec4db3751e4f8d668659 J’ai été également séduite, et c'est là que le film de Bonello devient vraiment très personnel, par de fortes images oniriques qui se superposent  parfois aux scènes réalistes et qui les enrichissent. Ainsi, Madeleine, jeune femme défigurée horriblement par un client pervers à qui elle faisait confiance, raconte un de ses rêves et pleure des larmes de sperme blanches devant le spectateur médusé… le film prend alors une dimension fantastique ou plutôt surréaliste particulièrement réussie.  Ailleurs, Léa joue le rôle d’une poupée de porcelaine, véritable automate au regard vide faisant naître malaise et sentiment d’étrangeté chez le spectateur,  car le client l’observe et la manipule à sa guise. …Et pendant qu’il la possède, elle fixe un cafard sur le manteau de la cheminée, son regard se posant sur cet insecte pour oublier la scène dégradante à laquelle elle est soumise. J’ai beaucoup aimé aussi la bande-son du film. La musique ajoute encore au  charme et à la puissance de celui-ci,  elle l’ancre dans notre époque, l’actualise ou « l’intemporalise » puisque Bonello choisit des morceaux rock, jouant l’anachronisme à fond mais offrant à ces femmes un écrin sonore lyrique et pulsionnel en accord avec leur manière de bouger et de se mettre en scène.

 Oui vraiment, je suis encore là-bas, dans L'Apollonide, cette maison close, avec Samira, Madeleine, ou Léa, respirant leur parfum et me penchant vers leur chevelure pour saisir le chant étouffé de leur existence misérable, désespérée et pourtant magnifique.

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