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Je lis au lit
26 novembre 2019

Les enténébrés de Sarah Chiche

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Sarah Chiche est romancière, psychologue et psychanalyste, elle a publié trois essais Personne(s) d’après Le Livre de l’intranquilité de Pessoa, Ethique du mikado sur le cinéma de Michael Haneke, et Une histoire érotique de la psychanalyse : de la nourrice de Freud aux amants d’aujourd’hui.  Bref on peut dire que Sarah Chiche est une intellectuelle, n’ayant pas peur de ce gros mot, nourrie de cinéma et de lecture. Une auteure qui nous parle aussi de ce qui prend au ventre, d’émotions fortes, d’amour fou. Une auteure dont le métier, et les écrits explorent la mélancolie, la dépression, des états d’âme qu’elle connaît sans doute bien, qu’elle a affrontés personnellement et qu’elle explore tous les jours en aidant ses patients.

Si intime et singulier qu’il soit,  Les enténébrés est loin d’être un récit autocentré ou égocentré, au contraire il empoigne la complexité et la vaste rumeur du monde actuel et passé. Il s’ouvre ainsi sur un magistral premier chapitre, débute en focale large pour suivre la marche du monde actuel qui va mal et dans lequel tout est lié :  de la canicule due au changement climatique aux récoltes désastreuses,  de l’effondrement du marché agricole à la disette et la famine, des  révoltes aux émeutes et guerres produisant leur lot de migrants désespérés sur les routes et les mers. Sarah apparaît alors : pour aller à la rencontre de ces réfugiés, en tant que psychologue, un 28 septembre 2015, elle prend le train pour la gare de Vienne. Et dans cette ville, elle tombe follement amoureuse de Richard.

Les enténébrés est un texte complexe. Plusieurs fils s’entremêlent, et tissent la trame dense du roman. Il y a donc la passion folle entre Sarah et Richard qui se rencontrent à Vienne, alors que Sarah se rend en Autriche pour écrire sur la situation des migrants et des réfugiés. Un amour fou vécu comme une forme d’insurrection, un amour qu’il faut vivre, qu’il faut traverser de part en par malgré l’autre vie dans laquelle on est installé. Car il y a aussi la vie familiale heureuse de Sarah avec son mari Paul et sa fille à Paris, vie à laquelle elle tient. Il y a le thème crucial de la transmission, ou plutôt de la malédiction de la transmission  de la folie, de la maltraitance, de la mélancolie qui a hanté  plusieurs générations de femmes du côté maternel de Sarah. Cécile l’arrière grand-mère qui a été internée en asile psy, Lyne la grand-mère paranoïaque , Eve la mère déjantée, et enfin Sarah qui lutte au bout de la chaîne et qui qui a elle-même une petite fille…. Cela fait beaucoup.

Récit complexe dans la forme aussi car il mêle plusieurs types d’écrits : l’autobiographie et la narration à la première personne, des lettres de certaines membres de la famille de Sarah,  de son amant ou d’elle à cela dernier, des phrases prononcées par sa mère et dont elle se souvient, une conférence de son mari Paul sur la fin programmée de la planète et de l’humanité, un récit  de Pierre le père de Sarah à un ami sur sa première rencontre avec Eve la mère de la narratrice.  L’agencement de ses textes divers ne suit pas la chronologie temporelle, mais s’articulent plutôt en circonvolutions, en cercles concentriques, en rappels analogiques, comme une composition musicale.

Les enténébrés, c’est la force du vécu passé au filtre de la littérature et de la fiction, qui seule peut dire ce réel justement. De l’auteur au lecteur, la littérature met au jour, éclaire, dévoile ce qui empêche ou englue, ouvre la voie vers la liberté, et en cela c’est une arme de guerre.

Seuil, 2019

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