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Je lis au lit
4 mars 2016

Je vous écris dans le noir de Jean-Luc Seigle

 

20160303_123135Je chronique rarement les livres qui m'ont déplu ou  vraiment déçu. Quand ils me tombent des mains, je ne me force pas à les lire jusqu'à la fin. Et si je suis moyennement emballée, disons qu'il faut que je les ai lus jusqu'au bout, que je leur ai donné leur chance pour ensuite y aller de ma critique.  Pour celui-ci j'étais pleine d'attentes, le sujet m'attirait, le personnage aussi. Pauline Dubuisson, tondue à la libération pour avoir eu une relation avec un médecin allemand, inculpée pour assassinat de son fiancé en 1950, finit par se suicider à Essaouira au Maroc en 1963. Elle avait 36 ans. De ce destin d'héroïne sur la tangente, de cette existence éminemment romanesque, Clouzot en a tiré  1961 un très mauvais film, La Vérité, où l'on voit du début à la fin Brigitte Bardot endôsser le rôle d'une petite garce et se pavaner à moitié à poil. Et Jean-Luc Seigle, qui est d'accord pour souligner combien ce film est kitsch et très injuste envers son personnage, en tire un roman pas très mauvais, je serais mauvaise d'écrire cela, mais décevant oui. 

L' idée de départ est séduisante pourtant. Imaginer ce que Pauline Dubuisson écrit dans ses cahiers intimes laissés près d'elle dans sa maison d'Essaouira après son suicide. Lui donner la parole quoi, laisser émerger une parole posthume, et écrire à la première personne, se glisser dans ses mots et dans sa peau. S'approprier un fait divers et un destin singulier, le questionner, c'est ce que réussit très bien par exemple Régis Jauffret, dans Sévère, roman passionnant et trouble. Ce que fait aussi magistralement Emmanuel Carrère, dans un tout autre genre, plus distancié et moins romanesque, dans L'adversaire, sur l'affaire Romand. 

Mais là, non ça ne fonctionne pas, ou allez fort peu. D'une part parce que l'auteur prend trop visiblement le parti de son personnage,  empathique, et persuadé qu'elle est est une victime de la société et de la morale. Je le pense aussi, ce n'est pas le problème, les deux amoureux de Pauline ont eu tour à tour, en la rejetant, et ne pouvant même pas imaginer la présenter à leur famille, des attitudes indignes et dégueulasses, enfin vu de notre époque plus libérée. Mais c'est surtout l'écriture qui pêche, j'aurais aimé un ton davantage troublant, moins de clichés et de phrases au goût de déjà lu, des mots plus osées ou crus pour dire le goût de Pauline pour le sexe et les hommes, j'aurais aimé que cette fille soit davantage opaque, plus mystérieuse, qu'elle se livre moins? A vouloir trop l'expliquer, trop entrer dans la psychologie peut-être, Jean-Luc Seigle lui enlève du mystère et de la séduction, séduction romanesque je veux dire. Soit d'entrée, comme Carrère, on affirme ne pas pouvoir percer le mystère de l'autre, quitte alors à se questionner sur la fascination que son personnage exerce sur soi, soit on assume vraiment le roman, et on s'autorise les hypothèses, le trouble, tout ce qui donne à un personnage épaisseur et densité.
Pauline-Dubuisson-944x1262

Quelques pages à sauver toutefois. Le passage concernant l'humiliation publique de Pauline lorsqu'elle est tondue à la libération. Insoutenable, incroyable. Je l'avoue je ne savais pas que de telles horreurs avaient été commises, les femmes tondues oui je connaissais, mais pas ce type d'exhibitions, la tonte non seulement des cheveux mais aussi du pubis, les croix gammées peintes sur le corps et le crâne, les viols à répétition qui s'ajoutent au viol symbolique que représente déjà en soi la tonte devant la foule déchainée. Je pense au roman de Valentine Goby L'échappée qui décrit également une scène similaire, dans toute sa violence et son inhumanité.

Voilà... j'attends de lire le récit de Jaenada, La petite femelle, pour découvrir j'espère, sur le même personnage, un texte plus fort et plus convaincant....

 

 

Ed. J'ai lu, 20015



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