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Je lis au lit
14 octobre 2014

Bois II d'Elisabeth Filhol

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Ce n'est pas le livre le plus fun du moment, certes. Sujet épineux, écriture pointue et exigeante. L'auteur vient du monde de l'entreprise, elle a déjà écrit sur les conditions de travail dans les centrales nucléaires dans le magnifique La centrale, pas de doute elle en sait un bout sur ce dont elle cause, sur les rouages du système, sur la toute puissance de l'économie qui tient sous sa botte le politique. Dans Bois II, elle choisit d'écrire sur un moment de crise, lorsqu'au terme d'une longue lutte pour tenter de sauver leur boîte et leur travail, un groupe d'employés décide d'occuper l'usine et de prendre en otage Mangin, le directeur...l'énergie du désespoir pour l'obliger à négocier, si ce n'est la continuation de l'activité, du moins une porte de sortie et des indemnisations décentes.

Le collectif face à l'individualisme, la solidarité face à la loi du plus fort. Ces thèmes sont incarnés dans ce récit par des voix. Par une voix surtout, celle qui nous parle, la narratrice, impliquée à fond dans l'action, partie prenante des négociations. Une voix qui dit je, vibrante mais retenue, et qui livre au fil des pages des bribes de ce que fut sa vie avant l'arrivée dans cette petite ville de Bretagne... le divorce, le licenciement, le déménagement du sud vers le nord, de la région d'Alès dans le Gard vers Gargan près de Rennes. L'auteur montre bien combien le destin des ouvriers et des employés se confond avec l'histoire de leur boite, cette usine Pechiney reprise par Alcan en 1991, puis en difficulté jusqu'au rachat par Mangin, l'otage en question. Mangin qui s'était présenté à son personnel comme le sauveur de Bois II n'a en fait qu'une seule mission peu avouable : faire croire à une vente fictive de l'entreprise, ce qui est beaucoup moins coûteux qu'un plan de licenciement et une reconversion..  La voix qui s'adresse à nous a tout compris, elle est toute en rage rentrée, en colère froide, c'est d'abord une voix combative qui se fait le porte-parole du groupe, voix lucide et loin d'être dupe des manoeuvres des dirigeants. Lorsque l'espoir retombe, elle se fait alors résignée pour dire combien la loi de l'économie et de l'argent broie tout, les hommes, leur vie, leur espoir. 

Le conflit s'incarne aussi par les corps. D'un côté le corps de Mangin, massif et impénétrable, sûr de sa victoire. Et de l'autre, le corps social, fait des corps des hommes et des femmes unis par une lutte certes épisodique mais commune. L'attente, la lenteur des négociations qui n'avancent pas, la chaleur de cette journée de juillet, la sueur qui commence à perler, la fatigue, la proximité des corps qui d'ordinaire ne se côtoient pas si longtemps et de si près, donnent à ce texte une tension dramatique très forte. Un bon metteur en scène pourrait tirer de ce récit une magnifique pièce de théâtre...

Après, j'avoue n'être pas complètement rentrée dans les détails des problèmes financiers  de cette entreprise, ni n'avoir vraiment tout saisi des aspects juridiques de l'engrenage économique du truc. C'est parfois ennuyeux, fastidieux, il faut s'accrocher, mais l'hyper attention aux détails et au réalisme confèrent au texte sa solidité. 

Je garde du livre une certitude : Elisabeth Fihol est décidément très forte pour mêler le social et l'intime, pour faire du roman un puissant révélateur du monde sans pitié dans lequel nous vivons. Puissant.

Ed POL, 2014.

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