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Je lis au lit
18 mai 2013

Adèle et moi de Julie Wolkenstein

 

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Ce livre, je l'ai lu avec vraiment beaucoup de plaisir, sans bien discerner ou comprendre d'ailleurs à quoi tenait cet emballement. Il existe ainsi des romans que l'on dévore, sans savoir vraiment quelles sont les raisons de notre enthousiasme... c'est un des mystères de la lecture et aussi ce qui fait son charme.

"Enquête sur mon arrière-grand mère" pourrait être le sous-titre de ce récit, puisqu'il s'agit d'une biographie à la fois imaginaire et référencée de l'aïeule de la narratrice. Partant d'un document écrit par une grand-tante - mais d'ailleurs est-on sûr au terme du livre que ce document ait bien existé? - l'auteur se lance sur les pas d'Adèle, tente de donner vie et chair à cette femme née au XIX°siècle, peu avant 1870. Cette drôle de biographie est entrecoupée de confidences et de réflexions autobiographiques cette fois, nous ramenant dans les années 2000, curieux mélange où deux vies peu à peu se mêlent, s'entremêlent, intimement, au point de brouiller les pistes...  0bnubilée, habitée par l'existence d'Adèle, la narratrice se projette jusqu'au vertige dans la peau de cette femme morte depuis longtemps, sa vie s'efface au profit de cette existence passée, bref j'ai eu l'impression très nette, provoquée à la fois par l'écriture et l'architecture du récit, que peu à peu les deux femmes ne faisaient qu'une.
Une des grandes réussites du texte, c'est bien comme je l'ai dit, de donner vie à Adèle, d'en faire par la magie des mots un être de chair et de sang, et il est vrai que l'écriture de Julie Wolkenstein, à la fois très fluide et précise, nous rend le personnage très proche, intime, tout comme il le devient pour la narratrice. Au fil du récit, je me suis mise à considérer Adèle comme une soeur, une amie, certes un peu lointaine, appartenant à une classe sociale fort éloignée de celle dont je suis issue et venant d'une époque révolue mais une amie quand même. Cette impression s'accentue d'ailleurs et se confirme  lorsque sont révélees ses joies et ses peines les plus personnelles. Au début, tout semble lisse et facile, bourgeoisie, argent et superficialité... Puis l'envers du décor, les secrets de famille se dévoilent, et la narratrice se projette dans la psyché d'Adèle pour imaginer, éprouver ses souffrances, ses hontes et les stratégies déployées pour accepter la vérité, notamment en ce qui concerne la vie de sa propre mère.
La construction du récit, les passages obligeant le lecteur à faire des retours en arrière, à lire le texte rétrospectivement d'un autre oeil, m'ont aussi pas mal bluffée et sont pour beaucoup dans le sentiment qu'Adèle et son arrière petite fille fusionnent petit à petit. L'auteur excelle à nous égarer... où est le vrai, où est le faux, qu'est-ce qui appartient au domaine de la vérité, ou de la fiction... quelle est la part de l'invention et de l'exactitude dans ce qui nous est révélé... Peu importe finalement, ce qui est essentiel, ce qui m'a marquée, c'est comment ce livre montre que notre vie vécue et réelle peuvent nous sembler parfois moins prégnantes que notre existence rêvée ou fantasmée. Et se mettre dans la peau d'un autre, qu'il soit de votre famille ou pas, c'est une façon évidemment de s'échapper, de se fuir... mais aussi de se trouver... ainsi la narratrice n'a de cesse de chercher en Adèle une part commune, un terrain d'entente.
Et un des points de rencontre entre les deux femmes, l'endroit, au sens propre et figuré, où elles se retrouvent, c'est un lieu, en Normandie, un endroit très précis : Saint-Pair, près de Granville. La femme de 2011 passe en effet règulièrement ses vacances dans la maison de famille que son père lui a léguée, située sur cette côte battue par les vents. Or, du moins le croyons-nous au début du récit, cette maison est aussi celle qui a été construite selon la volonté d'Adèle, il s'agit là du point d'ancrage commun aux deux femmes du livre, le lieu où elles se sentent à leur place sur terre. Bref nous dit la narratrice, grâce à son aïeule, elle
"se découvre devoir à peu près tout ce qu'elle est, c'est à dire une saint-paraise".
Et il est vrai que nombre des passages les plus forts du livre, les mieux écrits, concernent la description de ce bout de terre... Que soit via le point de vue d'Adèle, soit via celui de la narratrice, le paysage, la baie se déployant entre Granville et Cancale, l'Océan, le ciel changeant, s'imposent au lecteur, sont évoqués inlassablement. Le lieu habite davantage Adèle qu'elle ne l'habite, il l'accompagne le reste de l'année lorsqu'elle vit à Paris, il fait partie de son équilibre intérieur, de son imaginaire intime, tout comme il fait partie de l'auteur. Ce texte nous  parle bien de cela, comment trouve-t-on sa place, au sens géographique du terme, comment sait-on que c'est là et pas ailleurs que l'on doit vivre... c'est sans doute une chance, oui, de savoir que l'on est là où l'on doit être, que le paysage, le décor, le ciel, qui nous entourent, que l'on peut admirer de sa fenêtre, de son jardin, sont ceux qui nous conviennent intimement. 

Finalement ce texte m'a sûrement plu car il propose tout simplement un "portrait de femme" très réussi, à la fois particulier et universel....un formidable récit sur la féminité.

Ed. P.O.L, 2012

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