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Je lis au lit
2 avril 2017

Les furies de Lauren Groff

 

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Entre leurs deux peaux, le plus fin des espaces, à peine assez pour l'air, pour ce voile de sueur qui à présent refroidissait. Et pourtant, un troisième personnage, leur couple, s'y était glissé.

Suffirait-t-il que la quatrième de couverture d'un roman signale ce dernier comme LE meilleur roman de l'année selon Barak Obama pour qu'il se vende comme des petits pains? Il semblerait.... car de nos jours, en matière de littérature, il semble que l'avis d'un homme politique (même honorable) compte apparemment davantage que celui d'un écrivain... Mais allons y voir d'un peu plus près....ce roman bénéficie quand même de critiques dithyrambiques qui font envie.

Les furies -dont le titre en anglais est plus significatif pour rendre compte des deux parties du livre -Fates and furies- s'empare d'un thème oh combien rebattu, le couple, et suit le parcours de Lotto et de Mathilde, de leurs années d'étude jusqu'à la quarantaine bien sonnée, en passant par la réussite sociale. Le cheminement d'un homme et d'une femme sur la longueur d'une vie, l'histoire d'un mariage, point de départ et sujet éminemment romanesque qui permet de brasser tout et n'importe quoi, le choix est vaste. Lancelot, surnommé Lotto, personnage solaire et charismatique, mais hélas un brin dilettante et raté, rêve d'une carrière de comédien reconnu. Il échoue en cela mais devient au détour d'une nuit un peu trop arrosée qui lui porte chance, un auteur de théâtre à succès. Sa femme l'accompagne sans faillir dans sa fulgurante ascension, l'épaule et le soutient des débuts désargentés jusqu' aux années de succès.
Voici pour la première partie. De la seconde, je ne vous dirai pas grand-chose, sinon qu'elle déroule le point de vue de Mathilde, celle qui crache la colère et la rage, celle aussi qui décide de sa vie, qui l'orchestre selon sa volonté. Une seconde partie extrêment réussie puisqu'elle déjoue bien des attentes, joue sur les codes romanesques, et permet d'éclairer la première partie sous un éclairage nouveau, de mettre au jour certaines vérités sur la réussite du couple, maitrisée par Mathilde. Bref vous l'avez compris, ici pas d'historiettes d'amour adultérines, rien de convenu  ou d'attendu, et c'est une des grandes forces du roman. 

Mais comment vous dire? Si on ne m'avait pas prévenue que la seconde partie du livre ménageait bien des surprises, j'aurais peut-être laissé tomber ma lecture. D'entrée, de ma part, aucun sentiment de proximité avec les personnages, je me sentais comme rejetée aux marges de leur histoire et de leur univers, une curieuse impression de décalage, d'étrangeté. Ce sentiment d'être exclue de l'histoire dans la première partie s'explique en grande partie par le ton et l'écriture de Lauren Groff, une écriture légérement glaciale, chirurgicale dans sa précision, ou à contrario exagérément ampoulée et précieuse. On nage entre deux eaux, ne sachant s'il faut prendre au sérieux cette histoire d'amour qui se joue sous nos yeux, s 'il faut s'en moquer, ou s'il faut s'en méfier...ou s'il faut jongler entre tous ces sentiments et tous les accepter. De ce point de vue là, c'est très fort, la première partie du roman joue sur l'opacité des personnages, sur l'effacement un peu artificiel de Mathilde, sur l'entremêlement de la narration et des extraits de pièces de théâtre publiées par Lotto... Quelle est la part de fiction que l'on se crée pour supporter sa vie et la faire aux couleurs de ses souhaits, quelle est la part de déni qui nous rend l'existence plus simple, ou au contraire est-ce qu'une vie se dirige de manière volontariste, est-ce qu'on peut l'inventer selon ses souhaits et la travailler et la  modeler comme une statue d'argile...autant de questions sous-jacentes qui émergent au fil de ce livre.

Un roman cornet surprise donc, qui s'amuse avec les registres et les tons, qui jongle entre la légèreté et la tragédie, qui mêle dans un curieux tissage, réalisme et léger fantastique, analyse de la psyché humaine très fine et behaviorisme. Un texte très tenu et maitrisé, qui sait où il va et où il veut mener le lecteur, tout en laissant sa part à l' inventivité, à la fantaisie et à la puissance romanesque. Je pense là aux retours sur l'enfance et sur la jeunesse de Mathilde, roman d'apprentissage personnel dans le roman plus large de l'apprentissage du couple.
D'accord Barak, Les furies est bel et bien un très bon roman, surprenant et dérangeant, pour dire la complexité de cet étrange association qu'est le couple.

Ed L'Olivier, 2015

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