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Je lis au lit
10 février 2017

Fassbinder : La mort en fanfare

 

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Je ne connais pas grand-chose de Fassbinder, j'ai vu ses films les plus connus, les plus classiques : Lili Marleen, Le mariage de Maria Braun, Lola une femme allemande...   Et puis bien sûr la réputation sulfureuse du gars, sa vie chaotique, passée à filmer et à filmer encore. Mort à 37 ans, 43 films, ça laisse pantois... Le livre d'Alban Lefranc s'avère une formidable porte d'entrée vers l'univers houleux du cinéaste, et c'est aussi un livre tout à fait singulier et personnel. Sous-titré Roman, ce texte inclassable mêle réflexions et rêveries sur la personnalité du cinéaste, éléments biographiques, notes sur certains films phare, mais aussi éclairage sur l'arrière plan historique, focus sur cette jeunesse allemande prise en sandwich entre un passé nazi qui ne se digère pas et la fraction armée rouge...  thèmes chers à cet auteur germanophile. Le tout donne un livre composite et ecclectique, fait de collages textuels, un montage littéraire et cinématographique détonnant et séduisant. 

L'écriture d'Alban Lefranc se montre à la hauteur du projet, elle flirte avec tous les registres et les tons, souvent violente et exacerbée, parfois apaisée, tantôt poétique, tantôt informative ou ironique. Les passages pris en charge par le narrateur alternent avec des dialogues, des extraits réels ou réécrits de propos tenus par Fassbinder, des passages en  style indirect libre ou des monologues intérieurs, jubilatoires, éructant le mépris du cinéaste pour les hommes politiques au pouvoir ou se gaussant d'un certain cinéma honni  par ce dernier, regardé par "les bronzés, les sportifs, les délicats, les piscivores, qui marchent dans les rues avec leurs beaux habits, qui regardent au cinéma des films distingués, des films inattaquables, ce qu'on appelle, ce qu'ils appellent après les gazettes des chefs-d'oeuvre, des films sur l'incommunicabilité, des films avec des messages dedans contre la guerre, des messages dedans pour les Noirs ou les indiens, des films où les visages de Monica Vitti et d'Alain Delon souffrent en gros plan entre deux grands hôtels, où l'on souffre avec Monica Vitti et Alain Delon d'être si beaux, si riches, si malheureux, les délicats, les manucurés, les raies sur le côté, si on leur montre un marocain musculeux coucher avec une femme de soixante ans, les épaules du marocain et puis sans prévenir tout à coup sa queue en gros plan aussi, et les poils humides de sueur sur son ventre, et le visage creusé de la petite vieille recroquevillée dans sa cuisine, et les enfants de la petite vieille barricadés dans leur bon vieux racisme en croûte, alors ils deviennent hystériques, les délicats, les précieux, ils crient sur leur siège, ils appellent au secours, ils crient que c'est une monstruosité de montrer des choses pareilles, que ce n'est pas un progressiste du tout, que c'est un grand coup porté sur la tête de la démocratie en Allemagne, que c'est de la perversité pure, qu'on n'a pas idée quand même enfin". Ouf!


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La fin du récit, consacrée aux derniers moments de Fassbinder qui donne une fête orgiaque à Munich et qui jusqu'aux derniers instants n'a de cesse d'échafauder des projets de films -le dernier aurait été un film sur Mohammed Ali- , m'a scotchée, l'écriture absolument baroque et flamboyante, d'une totale liberté de forme et de ton de Lefranc maintenant le lecteur dans un état hallucinatoire au plus près de celui de l'artiste jeté dans une course folle vers sa fin.

 

Ed. Rivages, 2012

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