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Je lis au lit
2 novembre 2016

La cheffe, roman d'une cuisinière de Marie N'Diaye

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On entre dans ce roman, et paf on est prise au piège, comme envoûtée. Charmée au sens étymologique du terme par  la prose si singulière de Marie N'Diaye, qui, au fil de courts paragraphes extrêmement précis et travaillés, déroule l'existence de Gabrielle, une cuisinière partie de rien et qui devient peu à peu, à force d'exigence, de passion et de foi en son art, une Cheffe renommée. Le tout est raconté du point de vue d'un cuisinier fervent admirateur de sa Cheffe, amoureux transi, peut-être pas très objectif qu'en sait-on... 
Mais est-ce bien de cuisine dont on nous parle dans ce livre? Assurément oui, si l'on s'en tient à la description des mets préparés, et à la manière dont la Cheffe conçoit avec ferveur ses menus et ses plats, que ce soit le gigot en habit vert ou les paupiettes de lapin à l'oseille. Moi qui soupire à l'idée de faire deux oeufs au plat, je me suis même surprise à rêver de me mettre sérieusement aux fourneaux tant les propositions de la Cheffe donnent envie. Mais le monde de la cuisine métaphorise aussi tout ce que l'on peut réaliser avec passion et concentration, dans le silence et l'exaltation de la création, dans le domaine de l'art en général, et donc de la littérature. La Cheffe invente des plats et les mittone comme l'écrivain pense à ses futurs livres avant de se mettre devant l'ordinateur pour agencer ses phrases. Une même exigence, une même foi les animent, ainsi qu'un même besoin de solitude, "cette froide exultation de la solitude en train de créer". La beauté de ce livre vient en partie de cela : parler de l'écriture de manière indirecte, établir un parallèle jamais didactique et pesant, entre l'art culinaire et l'art d'écrire. Et comment ne pas penser à Marie N'Diaye elle-même au moment de recevoir le prix Goncourt, écrivain un peu sauvage et en retrait, lorsque Gabrielle ressent de la honte au moment de recevoir sa première étoile et affirme "Si on me récompense c'est que j'ai démérité".
Ce roman prolonge aussi le thème tragique qui irrigue l'oeuvre de Marie N'Diaye, à savoir les relations compliquées et douloureuses entre les parents et les enfants, lorsque ceux-ci ne se ressemblent pas. Comme dans Ludivine, la fille de la Cheffe n'accepte pas sa mère comme elle est, et n'aura de cesse de la renier et de la détruire, elle et son restaurant. Comme dans Ladivine, la mère accepte tout, et s'efface, disparait même, face à la volonté monstrueuse de sa fille. Que doit-on accepter de ses enfants, jusqu'où doit-on aller pour ne pas se brouiller avec eux, pourquoi les liens du sang n'induisent-ils pas l'évidence, l'entente et la compréhension? Toutes ces questions irriguent ce récit sans trouver de réponses.
Un roman qui prend racine au coeur de la vie matérielle, pour nous immerger également dans le monde de la création artistique et les méandres de la vie affective. Un phrasé se déroulant par vagues successives, prenant le temps de supposer, d'interroger le réel, d'épouser le rythme de la pensée et de chercher par les mots et le langage ce que l'on peut saisir du mystère de l'être aimé. Brillant.

Ed Gallimard, 2016.

 

 

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Commentaires
F
ah en effet moi j'y ai cru au gigot en habit vert!! Merci pour votre commentaire en tout cas.
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O
Excellent commentaire sur un excellent roman. Je déconseillerais cependant très fortement de tenter les recettes décrites dans le texte : elle ne sont que pure fantaisie. Que Marie N'Diaye parvienne à faire croire que ce sont de vraies recettes montre à quel point elle est convaincante.<br /> <br /> http://lol85.canalblog.com/archives/2016/11/29/34624531.html
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