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Je lis au lit
17 février 2016

La cache de Christophe Boltanski

 

Un cluedo revisité dans l'appartement de la famille Boltanski.

 

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Dans chaque partie de la maison, je convoque un ou plusieurs personnages, je vérifie les alibis de chacun, j'émets une hypothèse et je me rapproche un peu plus de la vérité. Si la victime est la même que dans le cluedo, l'intrigue change. Je ne suis pas en présence d'un meurtre, mais d'une disparition.  La question à laquelle je dois répondre est la suivante : où est caché le docteur Lenoir?

Dans ce roman familial, Christophe Boltanski rend hommage à ses grands-parents, à son grand-père Etienne, lunaire et décalé, à sa "Mère-grand" comme on l'appelle Marie-Elise, déterminée et foldingue, et à la petite tribu resserrée au sein de laquelle il a grandi. Le terme cercle familial prend ici tout son sens, dans son acception très circonscrite puisque la grand-mère de l'auteur, qui a caché durant 20 mois son mari dans leur appartement, gardera après la guerre la peur du dehors, la méfiance envers tout ce qui est extérieur aux limites représentées par les murs de leur grand appartement parisien. 

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Et la grande originalité du récit, ce qui en fait sa particularité et sa force, est d'organiser justement le récit en fonction des plans de cet appartement. Pièce par pièce nous découvrons le lieu où cette famille pas comme les autres a vécu, où Etienne a travaillé puisqu'il avait son cabinet de médecin au rez-de-chaussée, où l'auteur a a grandi puisque ses grands-parents l'hébergeait lorsqu'il était à l'école. Chaque chapitre débute par un plan dessiné avec précision, peu à peu enrichi d'une pièce supplémentaire, afin que nous nous représentions fidèlement les lieux. Nous passons ainsi de la cuisine au salon, puis à l'étage, où se trouve la chambre des grands-parents, sans oublier la salle de bain qui donne sur le réduit où s'est caché Etienne durant la guerre. Une géographie tout à la fois spatiale et mentale se dessine ainsi, qui convoque les souvenirs et les membres de la famille : la cuisine et Jean-Elie, l'oncle qui n'a jamais quitté cet appartement, toujours aux côtés de ses parents puis résidant là où il a passé son enfance, le grenier-atelier et Christian, l'autre oncle qui est devenu un artiste, un plasticien reconnu. Tout ce monde vit en vase clos, les sorties se font toujours groupées, l'appartement est un monde en soi.

Rien de triste et de morbide dans cette existence marquée par la guerre, et par la terreur des rafles et de la déportation. Pourtant le traumatisme n'est pas loin. Mais le personnage de Mère-grand a su mener la barque, petite personne haute en couleur, extraordinaire de courage et de volonté,  qui a divorcé de son mari pour faire croire qu'il s'est enfui en 1943, qui n'a jamais dit à son jeune fils Jean-Elie que son père était là, quelque part dans l'appartement, lui répétant qu'il les a quittés. 20 mois ça paraît rien mais c'est long, lorsqu'il faut se méfier de la concierge pipelette, des visiteurs et même des amis qui ne doivent rien savoir. Tout le charme du livre est de prendre à rebours le thème rebattu de "Familles je vous hais" pour faire l'éloge d'une famille réinventée, d'une sorte de communauté où la réclusion volontaire semble paradoxalement synonyme de créativité et de liberté de pensée. Le narrateur nous dit même n'avoir "jamais été aussi libre et heureux que dans cette maison" où prévalaient "le mépris à l'égard des règles habituelles de bienséance. Les pieds-nus, les mains dans les plats. La possibilité de presque tout dire. Les débats sans fin""L'incroyable appétit de vivre, les moments d'ivresse, d'euphorie même" ont raison des années noires.

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Il me reste une image, convoquant par analogie les photos de Sergio Larrain sur les enfants des rues de Santiago du Chili, dormant les uns sur les autres. L'image des enfants et des petits-enfants Boltanski, couchés et entortillés dans leur sac de couchage autour du lit des grands-parents, chaque nuit, tout près de leurs protecteurs qui les gardent à portée de vue et de main, comme le ferait une chienne pour sa portée de petits chiots.

 

 

Ed. Stock, 2015

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