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Je lis au lit
31 janvier 2016

Un amour impossible de Christine Angot

 

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On reproche à Christine Angot de raconter toujours la même chose, l'inceste serait son fond de commerce. Et alors? Oui l'inceste entre elle et son père est le sujet récurrent et fondateur de ses livres, mais des textes très différents les uns des autres se déploient à partir de cet évènement traumatique, selon l'écriture choisie, les choix narratifs, le point de vue, ou le traitement du temps. Dans Une semaine de vacances, l'inceste s'imposait au lecteur de manière crue et visuelle, dans ses détails concrets les plus insupportables, avec attention et précision, comme zoomé, en gros plan. La force et la violence du livre venait également du cadre temporel extrêmement resserré, quelques jours durant lesquels le père viole sa fille à maintes reprises. Avec Un amour impossible, Christine Angot passe du zoom au panoramique temporel, elle revient d'entrée à la scène originelle, scène par laquelle tout s'est noué, cette rencontre improbable entre deux êtres qui n'étaient pas destinés à se rencontrer vu leur milieu social éloigné -nous sommes dans les années 60, les clivages sociaux pèsent lourd-, puis balaye cinquante années de la vie de sa mère jusqu'à aujourd'hui. Le coup de foudre dans une soirée de province, le temps de la passion, les désillusions et l'abandon, le récit, chronologique, suit le parcours d'une femme dont la vie est chamboulée par un amour impossible, c'est-à-dire ici proscrit socialement. Et si l'inceste n'apparaît plus comme le sujet principal du livre, c'est pour mieux être réintroduit au centre du récit, comme par surprise, et sans préparation apparente. Comme par surprise, oui, pour mieux épouser la sidération et la douleur de celle qui apprend que sa fille a été violée pendant des années par son père. A la fin du livre, au fil d'une discussion bouleversante entre la mère et la fille, tout sera réinterprété encore une fois, sous un angle nouveau, sociologique, façon lutte des classes cette fois. Chez ces gens-là, monsieur, on reste entre soi, et si jamais on aime en dehors de son milieu, on ne l'assume pas vraiment. Quand il s'agit de reconnaître sa fille, née d'une relation avec une femme issue d'un milieu populaire, pauvre et qui plus est juive... la pilule est dure à avaler. Et lorsque le pas est franchi, comme pour signifier que l'on nie la reconnaissance de sa fille, on humilie, on viole, on sodomise cette dernière. Ou de l'inceste comme manière de balayer la mésalliance, comme arme contre le déclassement social.
Le titre du livre condense à lui seul toutes les relations impossibles, douloureuses ou empêchées du récit. Cet amour impossible c'est bien sûr en premier lieu cette histoire quasi contre nature entre les parents de la narratrice, une relation entièrement dirigée par un homme incapable de se dégager de ses préjugés, qui se dit au-dessus des conventions mais qui ne peut envisager une demi-seconde un mariage avec une femme d'une classe sociale inférieure à la sienne, bref un homme entièrement déterminé par son milieu, un peur produit de la haute bourgeoisie. Chez ces gens-là on ne se déclasse pas, l'amour ok mais quand même pas jusqu'au mariage. L'amour impossible c'est donc par ricochet l'amour empêché entre un père et sa fille, un amour filial impossible qui se transforme en relation pervertie et incestueuse. Et puis, le titre désigne aussi la difficulté pour la jeune fille puis la femme adulte d'aimer une mère qui a fauté, qui n'a pas su la protéger adolescente, qui n'a pas su voir l'impensable.
Christine Angot vient d'enregistrer une lecture à voix haute de ce texte. Et cela doit être sans doute être très beau. Car l'écriture d'Un amour impossible est très précise, d'une justesse et d'une simplicité apparente vraiment efficace procurant un effet d'authenticité terrible. L'auteur fait entendre les voix de tous les personnages, au fil des discussions, des scènes dialoguées et des conversations. Grâce à ces voix nous sommes aux côté de la mère et de sa fille, au plus près de leur intimité, nous suivons l'évolution de leur relation, qui passe de l'amour inconditionnel de l'enfance à la gêne et au rejet pendant l'adolescence, de l'indifférence à la tentative de comprendre et d'analyser le passé impensable lorsque vient l'âge adulte. La voix du père est présente également dans un registre plus lointain, grâce à ses lettres insérées au fil du livre, le plus souvent très courtes et soulignant  de manière presque risible le grand narcissisme et l'égoïsme de cet homme.  
Alors non, Christine Angot ne ressasse pas toujours la même chose. Car chacun de ses textes surprend, ne laisse jamais indifférent grâce à une écriture nerveuse, directe, qui explore et creuse ce qui a nourri la honte, la colère, et l'injustice. Un amour impossible rend au final un hommage extrêmement sincère et touchant à sa mère, et à une femme qui choisit de ne pas subir totalement l'histoire que lui impose l'homme qu'elle aime, mais une femme victime de ce qu'il faut bien appeler la lutte des classes à l'oeuvre au coeur des sentiments amoureux. 

Ed Flammarion, 2015

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Commentaires
N
C'est le premier texte que je lis d'elle et ce regard juste qu'elle a sur sa propre histoire m'a séduite : un regard de classe.
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