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Je lis au lit
19 avril 2015

Soumission de Michel Houellebecq

 

soumission

Seule la littérature peut vous permettre d'entrer en contact avec l'esprit d'un mort, de manière plus directe, plus complète et plus profonde que ne le ferait même la conversation avec un ami -aussi profonde, aussi durable que soit une amitié, jamais on ne se livre, dans une conversation, aussi complètement qu'on ne le fait devant une feuille vide, s'adressant à un destinataire inconnu.

 La plupart des gens ont parlé, parlent et parleront des livres de Michel Houellebecq sans les avoir lus. Parce que cela fait mode, branché, dans l'air du temps de bader avec les médias, de paraitre intello et intelligent, politiquement correct, bien-pensant ou outré dès que l'on touche à des sujets sensibles : l'islam et sa relation difficile aux femmes, la volonté de toute puissance des religions monothéistes,  le couple tel que notre société l'idéalise, la solitude existentielle de l'homme moderne. Parce qu'aussi Michel Houellebecq irrite, fait peur par son intelligence et sa sensibilité à fleur de peau, provoque oui un peu ou beaucoup à ses heures, renvoie surtout tout un chacun à sa propre condition misérable d'être humain.

Car après tout, il ne s'agit que de ceci dans Soumission : comment échapper à l'ennui, à la solitude, comment trouver le goût, la force et le plaisir de vivre, jour après jour, comment ne pas s'enliser dans le spleen qui parfois nous submerge? Relisez Baudelaire, que Houellebecq adore et dont il connait les poèmes par coeur, avant de faire une lecture hâtive et mesquine de Soumission. Le narrateur du roman est comme vous, comme moi, ce "lecteur, cet ami, ce frère", dont parle le poète des Fleurs du mal, il se démerde comme il peut pour se trouver des raisons d'avancer et pour mettre à distance la mélancolie. 

Deux raisons valent la peine de vivre ici-bas nous dit Houellebecq : l'amour, qui selon le narrateur n'est la plupart du temps que de la "gratitude pour le plaisir reçu" ou plutôt ce qui lui sert de succédané, jouons la modeste, la jouissance sexuelle, et la littérature. Côté livres, le narrateur de Soumission voue un culte aux auteurs du tournant du 20° siècle, et particulièrement à Huysmans, un romancier aujourd'hui peu lu, et dont le parcours déteint sur celui du personnage principal. Huysmans cherchera en effet tour à tour dans la littérature, puis dans le couple, et enfin dans la religion des raisons de vivre. Le narrateur de Soumission suit ce chemin aussi, et, de désillusions en désillusions, il finira par rejoindre le parti politique dominant, à savoir le parti islamiste, non par conviction, mais par opportunisme. Soumission, ou un mode d'emploi de survie en milieu hostile...

La grande force de Houellebecq, son génie réside dans l'art de retourner le lecteur, de passer sans transition de la noirceur la plus crasse à la drôlerie la plus irrésistible. L'art de la pirouette stylistique, le changement imprévisible de ton, le passage du romantisme le plus noir à une lucidité extrême et sans concession, le saut du plus grand sérieux à l'absurde, au cocasse le plus hilarant... il faut accepter d'être un peu malmené, balloté d'un bord à l'autre, accepter de pleurer et de rire à la fois. Houellebecq ne berce pas le lecteur dans des clichés rassurants, il interroge notre société, questionne, s'amuse et ricane. En ce qui me concerne en tout cas, Houellebecq est le seul auteur qui me fasse éclater de rire, oui vraiment éclater de rire en le lisant.... Je pense, mais ce n'est qu' un 
exemple, au portrait de Bayroux campé en vieux radoteur vêtu d'une houppelande et gardant ses moutons... Et à peine fini de rire, au détour du même paragraphe, implaccable, nous voici la gorge serrée, face à toute la bêtise et à la violence du monde actuel, face aux manipulations les abjectes menées par les religions et la politique, et nous voici confrontés à notre condition d'homme moderne voué à la solitude.

Comme il serait bon avec Baudelaire de fuir vers l'ailleurs, de trouver un peu de calme, de luxe et de volupté. Le narrateur de Soumission le désire aussi. Mais il fait comme nous tous, il se débrouille et s'arrange avec lui-même, avec les autres et avec son époque. Qui lui jetterait la pierre?

Ed. Flammarion, 2015



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