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Je lis au lit
1 avril 2014

Pays perdu de Pierre Jourde

 

 

jourde

Avec Pays perdu, Pierre Jourde s'attaque à un exercice fort périlleux...  Le temps de l'enterrement de Lucie, la fille de son ami François, le narrateur revient avec son frère dans le village du Cantal d'où est originaire son père, et où il possède une ferme familiale. C'est l'occasion de revenir sur ses origines, sur le secret de la naissance de son père, de rendre compte de la beauté sublime de ce coin paumé du massif central, de s'approcher par l'écriture de l'âme de ses habitants, de faire sentir leur particularisme, sans cacher leurs tares et la crasse... l'enjeu étant de ne pas tomber dans le pittoresque et dans cette affreuse littérature de terroir ethno-folcklorico-locale. Je ne dis pas que l'auteur y réussit tout à fait... Parfois le portrait de ces paysans m'a gênée, j'y ai lu une touche de condescendance, j'y ai trouvé un poil d'application trop appuyée, un maniérisme, une préciosité dans l'écriture qui me repoussent, un petit sourire en coin qui m'embarrasse... A vouloir éviter le pittoresque, on y tombe quelquefois... Les gens sont un peu trop "croqués", à force de vouloir les magnifier, l'écriture parfois trop appliquée et alambiquée finit par les plomber...  Joseph le vieux célibataire, la tante Louise, tout ça est parfois un peu trop, un peu lourd, dans la manière et le style.

Toutefois le livre est beau, indéniablement, malgré tous ces effets un peu trop visibles. Car on sent que l'auteur connait bien ces gens-là. A force de les côtoyer, de leur parler, de revenir régulièrement dans ce hameau où il a une maison de famille, il se considère comme un des leur. Il n'a jamais perdu le contact, il aime profondément ces auvergnats, farouchement. Bref il sait de quoi il parle, et ce livre se lit au final comme un superbe hommage à ces hommes et à ce pays. Et du coup son écriture ne trébuche jamais longuement, à peine dérape-t-il, patine-t-il qu'il se rattrape dans des pages magnifiques. Il s'agit ici de ce que les géographes appelle la moyenne montagne, celle où s'accrochent les derniers paysans, ceux que Raymond Depardon filme dans son documentaire, devant lequel je pleure immanquablement. Pays perdu me rappelle violemment, comme les films de Depardon, que je porte en moi la mémoire paysanne de ces gens, de leur vie, de leur travail, mémoire qui surgit, irrépressible, bouleversante, lorsque surgit à l'écran ou sur la page le visage de celui qui aurait pu être mon grand-père.... Alors de quelle peuplade reculée, de quels autochtones rebelles Pierre Jourde nous parle-t-il dans Pays perdu? Pas plus, pas moins, de vous et de moi.

Et puis, indissociable des hommes qui l'habitent, il est question avant tout d 'un lieu dans ce livre. D'un lieu unique mais aussi universel, superbe, et pourtant rude, inhospitalier. Un lieu qui a quelque chose de mystique dans sa solitude ombrageuse et auquel Jourde associe toujours une vision métaphysique. Les pages décrivant le paysage, la nature, sont celles que je préfère, et de loin, dans ce livre. Le premier chapitre ainsi est magistral, bouleversant, pour montrer combien cet endroit est le lieu de l'extase et de la désorientation... un pays perdu, c'est  à dire un lieu qu'il faut trouver, à la fois paumé bien sûr, loin de tout, au bout de la route, mais aussi un lieu qu'il faut retrouver pour être soi, le lieu de la mémoire originelle, mais qui paradoxalement échappe toujours, se dérobe.

Pierre Jourde montre ici que la beauté peut se conjuguer avec la noirceur, que le sublime côtoie le dénuement. Et surtout que ce pays perdu, c'est avant tout le pays où il peut se perdre et s'oublier, un quelque part où l'on se sent nulle part.

Ed. Balland, 2013

  

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