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Je lis au lit
1 février 2014

En finir avec Eddy Bellegueule de Edouard Louis

 

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"Je voudrais être déjà loin de mon père, loin d'eux
et je sais que cela commence par l'inversion de toutes mes valeurs"

D'autres en ont déjà parlé, Didier Eribon, Annie Ernaux, Laurent Mauvignier, Olivier Adam... fuir son milieu familial et social, c'est s'exiler, émigrer, parfois une question de survie et toujours une déchirure. Eddy-Edouard, le narrateur de ce livre et double de l'auteur, lui, a accompli un grand écart social : issu d'un village de la Picardie profonde, où rien de rien ne le prédisposait à faire des études, il se retrouve à normale sup, étudiant en sociologie et philosophie. Eddy, refait le parcours de son village jusqu'au lycée d'Amiens dans ce livre, roman sur la couverture, mais en fait récit d'apprentissage très personnel, douloureux, à vif, très maitrisé également, juste et net, direct...un long chemin vers l'acceptation de son identité sexuelle, de son homosexualité, refoulée, niée jusqu'à ce que ses études lui permettent de vivre dans un autre milieu, où aimer les homme n'est pas une tare. 

Ce livre suinte la violence et l'apreté, la misère et l'ignorance. Le premier chapitre s'ouvre sur une scène emblématique, réitérée quasiment tous les jours durant les deux premières années de collège d'Eddy : deux grands tabassent ce garçon malingre en le traitant de "pédale", de "tantouze" et j'en passe. Le jeune garçon vit un enfer durant ces années collège, angoissé dès le matin à l'idée de ce qu'il va inéluctablement lui arriver dans la journée.
Et ce livre rappelle au lecteur, enfin celui qui ne la connait pas hein, qu'une autre France existe, celle où l'on vit à 7 dans 3 pièces,  où les télévisions sont allumées du matin jusqu'au milieu de la nuit, où l'on vivote et picole, où l'on ne mange que des pâtes ou des patates à tous les repas, mais où aussi l'intolérance est reine. Rares sont ceux qui ne reproduisent pas le schéma dans lequel ils ont grandi, arrêter l'école très tôt à 16 ans, avoir des gosses très jeunes, rester toute sa vie au village, se bourrer la gueule le week-end et se bagarrer pour se distraire. Et surtout gare à ceux qui ne suivent pas la voie toute tracée, celle "où rien ne change". Dès son plus jeune âge Eddy sent qu'il est est différent, ne correspondant pas à l'image du garçon, du "dur" attendue, lui qui est efféminée, bon à l'école, bref mal parti pour être ce "dur", mais parfait pour être un bouc émissaire de choix. 

Mais ce qui est beau, c'est que Edouard Louis, en tout cas je l'ai lu comme cela, ne juge pas, il raconte, décrit, explique aussi. Malgré la dureté de ce qu'il a traversé, il adopte une certaine neutralité de ton, tout ce qu'il dit sonne juste et authentique, sans en faire trop dans l'écriture, ne dissimulant rien de la bêtise de ce milieu, de sa famille, décrivant sans concession la réalité de ces gens qui de débattent comme ils peuvent dans la pauvreté et qui subissent leur existence. On sent que ce gars-là a parcouru un immense chemin intellectuel et psychologique, une révolution intime pour en arriver à ce texte à la fois si personnel et si distancié.
Pour incarner les gens dont il parle, pour les imposer et leur donner une place dans son récit, l'auteur choisit d'inclure leur parole au fil du texte. Et la grande force du récit réside dans cela, cet étroit tissage entre la voix du narrateur, qui se place aujourd'hui et maintenant, et les paroles de ceux qui ont entouré Eddy au village, des gens de sa famille. Les propos oraux du père, de la mère, de la grand-mère se font entendre là, intégrés dans le fil de la narration, fixés sur le papier... . Les expressions, le parler picard, en disent vraiment long sur la personnalité de ces gens, sur la mentalité de ce milieu, créent un effet réaliste et authentique extrêmement fort. Le témoignage de la grand-mère sur le cousin Sylvain devient ainsi un morceau de bravoure, qui fait même sourire, avec cette longue digression  où elle compare Sylvain à un chien méchant. 

Un livre à la fois document sociologique et témoignage coup de poing, dénué de toute complaisance exhibitionniste, reflet de la violence ordinaire, pour nous rappeler que l'adolescence ressemble parfois à un long calvaire.

Ed. Seuil, 2014

 

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Commentaires
G
Je suis d'accord. Et je n'ai pas de mal à croire à ce qu'il raconte.
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