Y revenir de Dominique Ané

J'ai lu Y revenir juste avant d'aller voir le spectacle qu'en a fait Dominique A., pour que ma lecture ne soit pas influencée par la version scénique n'est-ce pas.... Ce récit sensible et poétique m'a d'abord beaucoup plu, et ce qu'en a fait le chanteur sur scène encore plus... Soudain le voici à trois mètres de moi....  le texte devient une présence physique et une voix, celle de l'écrivain, la guitare, la lumière, les détails de la mise en scène, très soignée, mettent vraiment en valeur les mots, les magnifient.

Très court texte donc, à l'écriture minimaliste et ressérée, où Dominique A. revient sur ses souvenirs d'enfance et d'adolescence à Provins, ville perdue dans les champs de betteraves, en Seine et Marne. Peu à peu des images surgissent, des sensations, des visages, et surtout une atmosphère, un climat. Le temps passé à Provins, c'est un temps plombé par une vague tristesse, l'ennui, l'enfermement. Le chanteur se décrit comme un enfant timide, apeuré, vulnérable... l'apprentissage du monde et de la vie ne va pas de soi, c'est souvent douloureux. Je le crois volontiers car malgré la stature et la carrure de l'homme qu'il est devenu, malgré l'assurance que le chanteur affiche aujourd'hui sur scène, on devine en lui beaucoup de douceur, une perméabilité au monde extérieur qui vient sans doute de loin. 

On retrouve dans ce texte, en plus explicites et développés, des moments de la chanson Rue des marais : le rêve terrifiant du grand-père qui entre dans la chambre, la terreur des séances à la piscine, la configuration de la ville, la pierre grise de ses monuments.... Des images fondatrices que l'on garde en soi à vie, sur lesquelles on revient souvent, qui forment une mythologie personnelle quoi. Rien de très passionnant d'ailleurs, des petits riens, des anecdotes, la vie qui passe jusqu'à ce le narrateur parte avec sa famille à Rennes... On pourrait s'en désintéresser complètement... Oui mais voilà, Dominique A. est un poète, les mots sont minutieusement choisis, disent le quotidien, l'intime et le personnel, et dans un même mouvement renvoient à l'universel. Moi aussi j'ai connu enfant cette angoisse avant les sorties scolaires à la piscine, moi aussi j'avais peur des plus fortes que moi dans la cour de récréation, moi aussi, moi aussi.... 

Et puis Y revenir interroge aussi la manière dont se construit le souvenir, le lien entre le paysage intérieur et le paysage dans lequel nous avons grandi, les interractions entre les deux. Qu'est-ce qui forge notre caractère, notre univers mental ? Avec le dessinateur du manga Quartier lointain, Dominique A. croit d'abord en la toute puissance du lieu qui nous a vu grandir... mais rien n'est moins sûr...  Ne serait-ce pas plutôt le climat familial, ce qui ressort des relations entretenus par les adultes qui nous entourent qui teintent en gris ou en rose notre environnement ? Et donc ne serait-ce pas nous qui projetons sur l'endroit où nous vivons nos ressentis, ce que nous vivons et ce qui nous habite? Toutes ces questions se mêlent à la fin de ce court texte et laissent songeur...

Ed. Stock, 2012