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Je lis au lit
23 novembre 2013

Une vie pornographique de Mathieu Lindon

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A la  fois roman, journal intime, réflexion, variation et essai, Une vie pornographique tourne et retourne le thème de l'addiction dans tous les sens. Le narrateur, accro à l'héroïne au début de son récit, casse d'entrée tous les clichés concernant les drogués. Non il n'est ni paumé, ni artiste (!), ni isolé, encore moins rockstar ou sur la paille. Perrin est prof de fac, il est inséré socialement, il n'est pas plus déséquilibré que vous et moi, et s'il ne peut se passer de sa dose quotidienne d'héroïne, il maîtrise à peu près sa consommation. Pour lui, l'héroïne est après tout une "bonne raison de se lever le matin". A partir de cette situation, le récit déroule une idée séduisante, à savoir comment la drogue accroit, exacerbe la lucidité et la connaissance que l'on peut avoir de la dépendance. Le titre l'annonce dès le départ : ce récit texte va exhiber avec le plus de lucidité et de vérité possible, sans nous épargner s'il le faut les détails triviaux ou dérangeants, une existence particulière, à savoir ici une vie dominée par la dépendance, autant dire la vie de tout le monde...et l'écriture sera le moyen de cette exhibition.

Dans le cas de Perrin, la dépendance à l'héroïne influe sur toute les sphères de son existence, et surtout sur les relations humaines, sur ses amitiés et sur ses amours. Elle est personnifiée, ou mieux elle est une personne, une présence... "Heroin, it's my wife and it's my life"... Lou Reed l'a écrit et chanté. Elle est ainsi la troisième personne dans le couple, celle qui oblige à la polygamie, celle qui oblige à mentir pour préserver celui que l'on aime... mais justement mentir est une preuve d'amour nous rappelle Perrin en citant Jeanne Moreau qui chante "Tant que tu mentiras, c'est que tu tiens à moi". Elle est aussi celle qui rend impuissant, et la pornographie ici réside à exhiber l'humiliation, ce qui paradoxalement n'a pas lieu, l'absence de désir, la difficulté à bander... mais "l'héroïne est du sérieux, comme la faim et la soif, pas ce genre de truc dont on vient à bout en se caressant le bas-ventre".
Le récit avance, explore le champ de l'addiction sur toutes ses facettes, y compris dans la tentative pour se désintoxiquer. Le chapitre central sert ainsi de pivot, change la donne... le narrateur découvre "les limites de l'éternité" et "rêve d'un horizon sans héroïne, d'un divorce quoi". Une fois ce divorce consommé, la dépendance ne disparait pas, loin de là... en fait, le narrateur ne fait que remplacer une addiction par d'autres addictions... le shit, l'alcool, le sport, le sexe... moins mortifères certes que la drogue mais addictions quand même.

Drôle d'expérience de lecture que ce livre-là... non seulement il aborde le sujet de la drogue par la tangente, sous un angle très novateur et personnel, propose une vision débarrassée de toute mythologie de bazar sur le sujet mais l'écriture en elle-même, le style et le ton du récit sont en eux-même une expérience, ils secouent le lecteur, l'obligent à s'impliquer, à cogiter. Les propos du narrateur sont parfois difficiles à décrypter...certains passages, certaines phrases résistent, ne se donnent vraiment pas facilement... j'ai bataillé, j'ai lu et relu, empêtrée dans les mots, perdant le fil et le retrouvant. L'écriture de Mathieu Lindon est précise, acérée, mais manie aussi les contradictions, les retournements de sens, les oppositions...  Et puis ce livre se caractérise vraiment par son ton, un ton qui n'appartient qu'à lui, assez drôle parfois, souvent décalé, toujours lucide et sans concession. Coment dire? Perrin se dédouble, se regarde agir et vivre, un peu étranger à lui-même... Ce décalage, ce pas de côté, font toute l'originalité et la force de ce récit.

Finalement, Une vie pornographique nous renvoie la balle, nous tend un miroir... La question de la dépendance, ou celle de la liberté, qui n'est que son pendant, n'est-ce pas la question essentielle ? En d'autres termes, quelle est la bonne raison qui nous fait lever le matin?
Ce livre nous rappelle que nous sommes tous accro et intoxiqués à quelque chose... à un produit, à la coke, au shit ou à l'alcool, au désir, au sexe ou à l'amour, au travail, à la politique, à l'argent ou au sport... que nous connaissons tous le manque, l'attente et la satisfaction... et puis encore l'attente et le manque, cercle sans fin, rengaine éternelle.

Ed. POL, 2013

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