Wadjda de Haifaa Al Mansour
Un film sur la condition des femmes en Arabie Saoudite, voilà qui à priori peut s'avérer lourd et pesant... tout dépend de la façon dont on traite le sujet... Car être femme dans ce pays, ça ne fait pas envie, sauf si l'on est adepte de la burka intégrale et autre tenue affriolante... Et pourtant, pourtant, voici un film plein de fantaisie, de légèreté aussi, pour parler d'une réalité ma foi effrayante, et qui montre comment une toute jeune fille de 12 ans, à la langue bien pendue et aux rêves tenaces parvient -ou presque- à contourner, à biaiser les règles de la société dans laquelle elle vit, et à se moquer de la pesanteur des lois sociales et culturelles qui l'oppressent... Wadjda, aux yeux effrontés, débrouillarde et pleine de ressources, volontaire et ne lâchant pas son objectif : s'acheter un vélo alors que dans son pays, il est interdit aux filles de monter sur ses engins.Et pour gagner l'argent nécessaire, elle va même jusqu'à s'inscrire à un concours de récitation du Coran, la fin justifiant les moyens.
Ce film tient tout entier dans le jeu de la jeune actrice, Waad Mohammed, elle possède la grâce et le feu, toute la beauté de l'enfance, toute la passion de l'adolescence qui s'annonce, avec un jeu tout en énergie, ses yeux rieurs exprimant une grande palette d'émotions. J'ai beaucoup aimé le personnage qu'elle incarne et l'actrice sait lui donner toute la fraîcheur, l'impertinence, l'insolence qu'il faut. La réalisatrice n'y est pas pour rien bien sûr, captant les regards, les attitudes et préfèrant le détail et la situation qui font mouche aux grandes démonstrations. Ainsi l'ennui des gamines qui récitent le Coran à l'école dans la scène d'ouverture, la violence faite aux enfants, leur absence de liberté sont captés en filmant les pieds de celles-ci, des pieds qui ne savent pas rester en place, qui se tortillent et dansent, impatients d'aller courir et s'amuser, loin de ce pensum qu'on leur impose. Je me revois enfant à la messe le dimanche matin... des fourmis dans le corps, incapable de me tenir droite sans bouger... La caméra souligne ainsi foule d'autres choses, anodines et pourtant essentielles, petits détails matériels qui nous parlent de la vie là-bas, et spécialement de la vie des femmes, vie constamment sous la surveillance des hommes, et soumises à une hypocrisie ambiante. On dit par exemple aux femmes de ne pas provoquer le désir des hommes, mais les vitrines des magasins sont pleines de robes voyantes et décolletées, on leur répète de ne pas se faire remarquer, mais le seul pouvoir auquel elles peuvent accéder c'est celui conféré par la séduction physique et la beauté. Et pourtant, dans ces mêmes magasins, mystérieusement, en vertu de quelle loi coranique encore, il n'y a pas de cabine d'essayage, il faut essayer les vêtements dans les toilettes car il est interdit de se dévêtir dans un lieu public.
Bref j'ai oscillé durant toute la durée du film entre jubilation et révolte, entre espoir et colère. Car on ne peut s'empêcher de s'interroger sur l'avenir de Wadjda, cette petite personne malicieuse, dans un pays où la marge de manoeuvre pour les femmes est quand même très limitée... A moins que le sujet du film, cela soit ça justement : l'espoir de l'émancipation possible sous les traits de cette petite Wadjda filant sur son vélo vert.