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Je lis au lit
22 février 2013

Les adieux à la reine de Chantal Thomas

reine

J'étais curieuse de découvrir le roman à l'origine du magnifique film de Benoit Jacquot Les adieux à la reine, film que j'ai vraiment adoré. Et je ne suis pas déçue, pas du tout, le texte est à la hauteur du film, dans un esprit pourtant un peu différent. Jacquot se centre sur les visages, au plus près des corps et des regards, son film est très charnel, sa caméra filme amoureusement les actrices, les suit étroitement. Le livre, lui, comporte certes cette dimension très intimiste mais il voit aussi plus large, élargit le cadre, l'espace et le temps, le ici et maintenant, pour nous inviter à méditer sur les bouleversements de la société française en cette fin de XVIII° siècle et sur le sens de l'Histoire ou plutôt sur ses soubresauts et ses circonvolutions : "J'en suis convaincue, l'humanité ne progresse pas. Elle redispose autrement, selon d'autres convenances, d'après des aspirations différentes".
L'idée du récit, le point de départ de l'ensemble, qui sous-tend tout le texte et le tient à bout de bras, la trouvaille géniale de Chantal Thomas, c'est d'abord de placer le lecteur exactement à l'endroit de la parole et du regard du personnage central, c'est à dire aux côtés, au plus près de la femme qui raconte, Agathe, lectrice de la reine Marie-Antoinette. Avec elle, durant trois jours nous sommes immergés à Versailles, durant les 15 et 16 juillet 1789, deux jours durant lesquels tout va basculer... Fin de règne, panique chez les aristocrates qui sentent le vent tourner...
Que l'héroïne occupe cette fonction de lectrice n'est évidemment pas anodin... Tout simplement ce rôle permet d'abord à l'auteur de ne pas bousculer la vraisemblance, le personnage principal parle ainsi, peut raconter ainsi parce qu'il vit au contact des livres et maitrise la langue française. Mais être lectrice confère surtout à la narratrice une épaisseur que n'aurait pas une autre suivante : issue du peuple et de sa misère, elle a accédé à une position intellectuelle décalée par rapport à ses origines, et étant cultivée, elle se trouve aussi à part dans ce petit monde des suivantes de la reine. Bref, elle occupe une place batârde, à la fois réflexive, distanciée, très solitaire aussi,  la reine ne la considérant pas plus qu'un objet décorant ses appartements, une potiche.

De ce fait on pourrait s'attendre à ce que la narratrice développe un certain esprit critique, forgé par l'esprit des lumières et glané dans ses lectures... Cela serait facile, attendu... Mais l' autre trouvaille de génie de l'auteur c'est de faire de son personnage un être entièrement dévoué à sa reine qu'elle adore telle une déesse, à qui elle voue un véritable culte. La première rencontre entre Marie-Antoinette et Agathe est ainsi décrite comme une apparition surnaturelle et divine, une vision sidérante, fondatrice pour la jeune lectrice :"Je crus voir un feu se mouvoir". Mais l' amour absolu qu'Agathe éprouve pour la reine, cet amour inconditionnel, est aussi charnel et désirant, implorant à l'égard de celle qu'elle approche trop rarement, dans l'intimité de ses appartements, parfois dans la chaleur de son lit où elle lui fait la lecture. Pour moi c'est vraiment là le noeud du roman, le mystère qui donne au récit son caractère innattendu et troublant... comment aujourd'hui imaginer une telle dévotion, comment penser la soumission complète au pouvoir arbitraire, incarnée ici par Marie-Antoinette si ce n'est à travers les mots de la passion amoureuse?
L'écriture de Chantal Thomas sait rendre cela parfaitement : Agathe s'exprime avec les mots d'une amoureuse éperdue, elle ne franchit aucunement le pas qui la mènerait vers les rives de l'esprit critique ou révolutionnaire. Elle décrit minutieusement ce qui l'entoure et jamais la moindre opinion contestataire lui échappe. Jusqu'au bout elle est dévouée à sa reine, jusque dans le sacrifice ultime, jusque dans la désillusion, et elle ne se pose jamais la question de déroger à son devoir. Versailles et son centre rayonnant, la reine, restent jusqu'à la fin la mesure et le point de repère de son existence... Sidérant d'imaginer une telle fixation semblable oui je l'ai dit à  la passion amoureuse dévorante, aveuglante et obsessionnelle.


Ce livre est aussi l' évocation virtuose d'une aristocratie à bout de souffle,  il propose une galerie de portraits saisissants laissant transparaître l'effrayant enfermement mental et physique dans lequel les courtisans vivaient à Versailles... il donne une foule de détails concernant la vie menée dans cet ilot coupé du monde, et en cela il flirte avec le roman dit historique... Mais au-delà de la minutie et de la précision dont fait preuve l'écrivain pour évoquer ces deux jours extraordinaires dans cet univers "point de mire de tant de désirs" d'une époque, je retiendrais finalement l'absolu fidélité, l'effrayante don de soi d'Agathe à une chimère, un rêve absolu incarné par la reine, cette femme qu'elle aime absolument.

Ed du Seuil, 2002.

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