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Je lis au lit
6 février 2013

Sévère de Régis Jauffret

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Les faits divers sont des nids à romans, Jauffret ne dira pas le contraire, il y puise des sujets de récits souvent sordides, désespérés... Dans Claustria, son dernier récit, il s'inspire de la vie de Josef Fritzl qui pendant près de 24 ans a séquestré et violé sa propre fille dans sa cave. Dans Sévère, il s'agit de l'affaire Stern, ce richissisme banquier assassiné d'un coup de révolver par sa maitresse lors d'une séance sado-masochiste.
Le fait-divers révulse et fascine à la fois, il condense, dans un geste souvent paroxystique, la violence et l'horreur de la condition humaine, renvoie à la part sombre et cachée de notre humanité. Pour un écrivain, encore faut-il savoir sous quel angle d'attaque le raconter, trouver un éclairage, choisir un narrateur, un point de vue, combler un peu le mystère sans tout dévoiler, trouver le ton... Pas facile facile... Et Régis Jauffret y excelle.

Dans Sévère, il choisit d'abord une voix, celle de l'assassin, une voix féminine donc, celle de la maîtresse de Stern. Une voix et donc une écriture. Factuelle, concise, lapidaire. Il s'est passé des choses, je raconte, je donne mon point de vue. Je me défends aussi, parfois maladroitement, j'explique rapidement, séchement, et à ma façon.... le récit alterne ainsi le récit de la fuite de la meurtrière et les souvenirs concernant la relation de ce couple. Jauffret a su trouver le dosage entre la lucidité froide et le dérapage border-line, il nous fait sentir à travers la voix de cette femme combien la frontière est fragile entre la déraison et la clairvoyance. Cette femme, qui nous parle là, très présente, à la dérive après le meurtre, assommée par l'alcool et les tranquillisants,  nous explique aussi, dans un même mouvement, très froidement, combien elle vivait en état de dépendance, sous l'emprise d'un homme,elle raconte, sans pathos, de manière mesurée. Impressionnant.
Qui est-elle ? Un bourreau, la victime? Une menteuse intéressée par le fric, une manipulatrice, ou plutôt, et je penche vers cette interprétation, une femme amoureuse, prête à tout pour se faire aimer? Prête à tout, jusqu'à un certain point de non retour... L'écrivain fait de l'assassin une victime, en tout cas il lui prête la parole de celle qui a tout supporté d'un homme mesquin et tyrannique... et qui finit par ne plus supporter. A moins que ce geste final, cette balle dans la tête, ne soit aussi l'ultime geste d'amour, Stern faisant faire à sa maîtresse le sale boulot, la poussant à l'achever, parce qu'il n'a pas le courage, lui, de se suicider. Comme l'écriture de Jauffret ne verse jamais dans l'analyse psychologique, n'explique pas, on reste avec ces suppositions, on tergiverse, c'est très intéressant, être dans la tête d'une meurtrière qui ne sait plus pourquoi elle a tué et quelles sont les motivations de son acte.

On peut reprocher à cet écrivain un point de vue noir de chez noir sur l'existence, sur l'humanité. Certes celle-ci ne sort pas grandie après la lecture de Sévère... le personnage de Stern est le prototype même du mec qui se sert de son fric pour assurer son pouvoir, qui jouit de rabaisser les autres et qui n'envisage l'amour que dans l'humiliation reçue ou donnée. Le récit baigne dans une ambiance glauque et sordide, peut-être, oui. Et le style renforce cette atmosphère bien sûr : aucune concession au lyrisme ou à la moindre trace de pathos. Mais après tout le personnage mérite peut-être cela, qu'on le considère d'un bloc, de manière un peu monolythique, comme le salaud qu'il est. 

Et dans la voix de celle qui l'a tué, je vois alors la parole troublante de celle qui nous interroge droit dans les yeux et qui nous dérange : "Je ne conseille à personne d'avoir un jour mon enfance. Même une meurtrière ne la mérite pas. Mon père avait un sexe, je le voyais souvent."

Ed. du Seuil, 2010

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