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Je lis au lit
16 novembre 2012

La porte des enfers de Laurent Gaudé

gaudé

Laurent Gaudé est un rêveur, je l'imagine, solitaire, en train d'écrire dans le silence de la nuit, c'est un écrivain à l'imaginaire très riche, son inspiration se nourrit d'Histoire et d'histoires, de voyages, fantasmés ou réels, des voix des hommes, de leurs cris de révolte ou de douleurs. Je l'apprécie d'ailleurs davantage lorsqu'il se penche sur le temps présent, sur les soubresauts du vingtième siècle comme dans Cris inspiré par la première guerre mondiale, ou dans Eldorado, qui évoque le destin des immigrés clandestins africains, que lorsqu'il se plonge dans l'antiquité ou dans l'épique, mais bon question de goûts...
Et mon roman préféré est La porte des enfers, un texte dont le propos ne peut que toucher tout un chacun, universellement. La porte des enfers est un livre inspiré par le deuil, la douleur de la perte, le mystère de la mort et de l'au-delà. En Italie, à Naples, un couple perd son unique enfant de 6 ans dans une fusillade provoquée par un règlement de compte entre mafieux, et la mère, Giuliana, devenue folle de douleur, on le serait à moins, demande à son compagnon Mattéo de le ramener leur fils à la vie. De ce point de départ, Gaudé bâtit un magnifique roman, bouleversant et limpide, qui peut se lire sur plusieurs niveaux.

Qui, à moins d'être complètement abruti, ne s'est pas demandé où vont les hommes après la mort, avec elle tout finit-il pour de bon, est-elle une fin radicale, une absurdité totale, ou au contraire un commencement, une ouverture, une porte vers autre chose? Ces questions, si simples, basiques, mais essentielles, existentielles et métaphysiques, un enfant quatre ans se les pose, et le vertige ne fait que commencer. Je peux l'avouer là, après tout cela ne fait de mal à personne, je n'ai pas peur de ma propre mort, et quand j'y pense, voilà que je  ressens une impatience et une joie bizarre à l'idée de passer de l'autre côté, et pourtant dieu sait si j'aime passionnément la vie. Car enfin, savoir ce qu'il advient après notre dernier soupir, n'est-ce pas enthousiasmant, une grande aventure ne va-t-elle pas commencer? Non? Vous me prenez pour une pauvre niaise? Tant pis, mais au moins avec La porte des enfers, j'ai trouvé un compagnon pour m'accompagner dans mes élucubrations. Car Laurent Gaudé n'a pas peur de rêver, de raconter tout simplement oui de raconter avec simplicité et audace, comment un homme peut descendre aux enfers afin d'aller chercher son petit garçon qui vient de mourir, il nous raconte ainsi comment il imagine le grand voyage.
Ainsi on peut lire ce roman au premier degré comme un récit quasi fantastique, une aventure extraordinaire qui fait passer le lecteur dans le monde des morts. Bien sûr, Gaudé revisite le mythe d'Orphée, Mattéo va chercher son fils décédé, mais une fois qu'il l'a trouvé, la faucheuse le retient en échange, tout comme Orphée reste prisonnier des enfers après avoir sauvé Eurydice. Mais peu importe après tout les références mythologiques ou culturelles, la lente descente aux enfers de Mattéo peut se lire simplement, littéralement, naïvement, car la porte de l'au-delà franchie, Gaudé nous transporte, au fil d'un road movie d'outre tombe, dans un monde parallèle, à la rencontre de nos morts. En cela je trouve que ce roman est très fort, il rend poreuse la barrière fragile entre la vie et la mort, et son écriture limpide, fluide, nous plonge aux côtés de Mattéo dans une aventure, certes extraordinaire, mais qui parait pourtant naturelle, possible. Gaudé nous embarque,  et j'ai encore en tête le fleuve des larmes que doivent franchir les trépassés, la forêt des ronces, et surtout cette lente spirale des morts qui avancent insensiblement vers le néant. Certes la vision de l'au-delà dans ce roman est très effrayante, noire, mais cela s'explique je pense parce qu'elle est avant tout celle de ceux qui restent, anéantis par le deuil et par la peine.

Mais l'aventure vécue par Mattéo permet aussi de filer la métaphore de la porosité entre la vie et la mort. Ceux que l'on aiment et qui disparaissent nous arrachent un peu de nous-même, nous croyons parfois que le deuil va nous emporter aussi dans la mort tant la souffrance est lourde à porter, tant le goût de vivre se perd avec la perte d'un être aimé, mais le contraire est aussi vrai, en chérissant le souvenir et la mémoire de nos morts nous les empêchons de disparaitre tout à fait, nous les maintenons en vie. Gaudé nous rappelle cela, que les morts ne meurent pas complètement s'ils continuent à vivre, au chaud dans notre coeur. Ainsi dans le chapitre sur les enfers,  le petit Pippo, présent dans la longue cohorte des morts,  ne peut avancer que tout doucement vers le néant car son père pense tout le temps à lui, il vit avec son souvenir, le retient d'une certaine manière à la vie. A la fin le roman nous dit aussi un peu la même chose lorsque Pippo revient auprès de sa mère en ayant retrouvé au fond de lui même le souvenir vivant de son père. Et, de manière inverse, les pauvres morts auxquels plus personne ne pensent, ceux que l'on oublie rapidement une fois enterrés, s'acheminent très vite vers le centre de la spirale et disparaissent à jamais dans le vide. Seul le souvenir pourrait les sauver. Dans ce roman, l'auteur a su mettre en images, en mouvement, cette permeabilité entre la vie et la mort, nous qui pensons ou qui voulons parfois que les deux mondes soient hermétiques.
Laurent Gaudé écrit d'une manière lumineuse et limpide, pas d'effets de style compliqué ici, pas de vocabulaire alambiqué, pas d'esbrouffe ni de lyrisme inutile, la phrase se déroule naturellement, suivant un rythme harmonieux. Beaucoup de silences, de pauses aussi, permettent au livre de respirer et de ne pas s'essoufler, entre les phrases ou les paragraphes mais aussi entre les chapitres tous assez courts. Cette écriture nous invite au songe, à la méditation, nous immerge dans l'essentiel, au coeur du mystère de la vie, en plein dans le questionnement existentiel, mais toujours avec simplicité et émotion.

Ed. Actes sud, 2008

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