Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Je lis au lit
11 septembre 2012

Les séparées de Kéthévane Davrichewy

Les_separees_170x225Les séparées est un roman sur l'amitié, l'amitié folle et passionnée, l'amitié à la vie à la mort entre deux femmes Alice et Cécile, et s'étirant sur une trentaine d'années, entre les années 70 et aujourd'hui. Alice et Céline se rencontrent à la maternelle, passent une partie de leur enfance puis de leur adolescence ensemble, travaillent en commun, pour peu à peu s'éloigner l'une de l'autre, vers 35 ans, dans la douleur et le déchirement. Ce n'est pas courant finalement ce sujet en littérature, l'amour tient en général le gros du pavé, et là, l'auteur s'empare de ce sujet avec conviction et force car l'amitié entre les deux héroïnes permet de balayer le champ de toutes les émotions humaines, de l'amour à la haine, de la joie pure à la désillusion. Finalement il n'y a que l'indifférence qui ne peut être éprouvée dans ce lien si fort, la colère et la détestation étant encore les manifestations d'une relation fusionnelle.

Toute une époque est balayée dans ce roman en suivant Alice et Cécile, et comme j'appartiens à leur génération, en gros celle qui est née après mai 68 (bouh c'est loin tout ça!), il m'a bien sûr particulièrement parlé. Ce temps qui nous échappe peu à peu, nous le sentons tout particulièrement passer via la musique, les chansons qu'écoutent les deux filles au fur et à mesure qu'elles grandissent, que ce soit des chansons de variété hyper populaires ou des morceaux plus recherchés. L'écrivain insére les paroles des chansons dans son récit au moment où il le faut, lorsque cela fait sens, sans lourdeur, ou encore fait référence à tel ou tel groupe de rock, comme les Rolling stones adorés par Philippe, pour donner densité et réalité aux scènes évoquées, comme  pour les doubler musicalement. Et quand l'amitié commence tout juste à s'effriter, au début de la vie d'adulte des deux femmes, on entend Barbara qui chante Septembre, et cela suffit pour annoncer la tristesse à venir. Les évènements politiques comme l'élection de Mitterand, l'actualité grande ou petite comme la mort de Claude François, les films qui marquent comme 37°2 le matin, Le grand bleu ou Sailor et Lula, je m'en souviens bien sûr avec les deux héroïnes et le phénomène d'identification générationnelle fonctionne à fond grâce à la mémoire collective. Emissions de télé, évènements politiques, sportifs ou sociaux, concerts, morts d'acteurs ou de chanteurs, tout un chapitre nous les rappelle en vrac dans une liste qui n'en finit pas. Alice se dit alors que "l'existence se niche entre ces titres", et il est vrai, oui, que ces souvenirs communs jalonnent nos vies et poussent à se demander avec elle "Qu'avons-nous été durant toute ces années?".

La composition du récit, faite de retours en arrière et de d'immersion dans le passé alterne le point de vue d'Alice ou de Cécile. Toutefois, pour épouser la voix de la première, qui au départ du roman est installée à la terrasse d'un café, l'écrivain choisit la troisième personne. Ce choix permet d'introduire dans la pensée d'Alice le point de vue du narrateur, de donner à ses propos une profondeur introspective plus analytique, on voit que l'auteur cherche à comprendre, à fouiller les raisons de la brouille entre les deux femmes, à se saisir d'une certaine vérité, ou en tout cas de tenter de l'approcher. Quand Cécile parle, en revanche, elle qui est dans une chambre d'hopital, dans le coma, la parole est beaucoup plus subjective, et donc moins fiable, les émotions brouillent la perception de celle qui s'adresse à nous.

Alors que s'est-il passé, comment l'amour, la confiance peuvent-ils se transformer en haine? Finalement nous sommes là encore dans quelque chose qui est lié à la passion, même s'il ne s'agit pas d'une relation amoureuse. Peu à peu est dévoilé ce qui fait mal, le secret que les deux jeunes filles se cachent l'une à l'autre et qui est la source même de leur mésentente qui va aller croissante. Ce secret porte un nom, Philippe, c'est le frère aîné de Cécile, ou plutôt son demi-frère. Le chapitre qui met en scène le jeune homme pour la première fois et qui le présente au lecteur est génial, puisque l'écrivain s'arrange dans ces quelques paragraphes pour brouiller les pistes, pour laisser le lecteur dans le doute et l'expectative. Qui est Philippe? Quelle relation entretient-il avec Cécile? Est-il son petit ami? Quelqu'un de la famille? On comprend  bien vite que oui Cécile aime ce frère plus que de raison, et qu'il est souvent la raison de son mal-être... Quand Alice va tomber dans les bras de Philippe, le silence s'installe entre les deux amies, c'est le début des secrets et le commencement de la fin. Car comment dire à sa meilleure amie que l'on fait l'amour avec ce frère qu'elle chérit bien trop?

A partir de cette intrigue, de cet imbroglio de sentiments et d'émotions, Kathévane Davrichewy (c'est pas un beau nom d'auteur ça?), tisse un récit sur le thème de l'intimité : à partir de quand l'intimité entre deux êtres se délite-elle, sur quels non-dit la confiance en l'autre s'effrite-elle? Quand on l'habitude de tout se dire, quand on croit à la transparence mutuelle, que ce soit en amitié ou en amour, cette transparence peut-être illusoire basée sur le pacte "je te dis tout et tu me dis tout", faut-il toujours dévoiler à l'autre la vérité quitte à lui faire beaucoup de mal? Ne doit-on pas plutôt se taire au risque de détruire alors cette intimité? Dans un cas comme dans l'autre, la souffrance est au rendez-vous, dans la vérité ou dans le mensonge. Et dans les deux cas l'intimité est mise à mal, on trahit dans les deux cas, que l'on parle ou que l'on se taise.

Ed. Sabine Wespieser, 2012

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Et aussi sur Facebook

fbook

Publicité