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Je lis au lit
9 septembre 2012

La ligne de courtoisie de Nicolas Fargues

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Allez, une fois n'est pas coutume, je me lance dans la critique nuancée. Je m'étais pourtant dit que dans ce blog je n'écrirai que sur les livres que j'ai aimés beaucoup, passionnément, à la folie. Oui mais voilà, La ligne de courtoisie mérite quand même une chronique, et puis il s'agit du charmant Nicolas Fargues, hein? Ce roman se présente d'abord comme un plaisant exercice de style, le journal d'un écrivain finissant en panne d'inspiration, plutôt misanthrope, mais misanthrope qui se soigne en se forçant à la compagnie de ses semblables, en travaillant la politesse et la sociabilité, que ce soit avec son frère, ses enfants, ses vagues copains ou connaissances, ou encore avec les gens croisés au hasard de la vie. La deuxième partie du roman montre ce même écrivain en partance, ici c'est en Inde, comme souvent chez Fargues, le narrateur met les voiles, cherche le dépaysement en espérant se retrouver et retrouver l'inspiration dans un contexte et un pays inconnus.

Mais très vite, à chaque page, je me suis dit ouh là là, Fargues tient à tout prix à aligner ses 150 pages, va-t-il y réussir, tant la phrase s'étire en circonvolutions à rallonge, tant finalement, disons-le l'auteur écrit pour ne rien dire si ce n'est pour terminer laborieusement ce qui ressemblerait vaguement à un roman... Et puis pourquoi cherche-t-il mille fois par paragraphe à nous prouver désespérément qu'il a du vocabulaire, qu'il possède un dictionnaire de mots rares dans la tête, ou plutôt un dictionnaire ouvert près de son ordinateur... Oui Nicolas, je te fais confiance et je sais que tu sais écrire, et bien même, tu l'as prouvé maintes fois, notamment dans Tu verras et dans J'étais derrière toi, livres que j'aime beaucoup, mais là, non vraiment tu en fais des tonnes, tu en fais trop... et hélas pour rien, puisque toutes ces prouesses verbeuses et bavardes me laissent pantoise et il faut le dire assez nauséeuse. Car la recherche lexicale, le goût du mot improbable, c'est bien quand on a vraiment quelque chose à dire, lorsque le mot en question s'avère nécessaire pour désigner avec précision les choses dont on cause, et hélas pas pour faire de l'esbrouffe au kilomètre. Je suis désolée Nicolas mais la vie certes passionnante pour un entomologue chevronné de l'araignée dans sa toile en train de guetter la mouche moribonde, à grands renforts de termes techniques dignes d'un manuel de biologie de doctorat ne m'a pas mise en transe... ceci est un exemple et j'en passe...

Alors que reste-il, puisque j'ai quand même lu ce bouquin jusqu'au bout, et en y trouvant quand même mon compte? Beaucoup de choses quand même... La satire sociale fonctionne ainsi toujours bien, c'est un des points forts de cet auteur,  notamment lorsqu'il évoque la vie familiale et ses relations réduites aux échanges sur le linge sale que ramènent le dimanche les (grands) enfants, la vie de couple et l'affreux nombrilisme ou goût pour le fric de certaines femmes, la vie culturelle française avec son petit monde palpitant des maisons d'édition et la concurrence entre les écrivains, l'existence des expatriés à l'étranger et le tourisme de masse. D'ailleurs Fargues fait même son Houellebecq dans le passage décrivant une visite à la communauté créée par  je ne sais quelle religieuse et transformée en vaste industrie touristique pour occidentaux en mal de spiritualité facile. Certains portraits, certaines scènes sont aussi vraiment poilantes, bien vues, bien balancées ma foi. Et les dernières pages du livre sont même franchement réussies, nous montrant le narrateur devant un guichet de poste, littéralement en train de craquer, de péter un plomb, de franchir au propre et au figuré la ligne de courtoisie jaune, de jeter aux oubliettes la politesse, l'indifférence, la veulerie, la lâcheté, bref, tout ce qui auparavant lui permettait de supporter ses semblables et d'avoir un semblant de vie sociale ... et de finalement casser la gueule à un pauvre type qui l'a insulté pour se faire en retour décalquer le portrait.

Malgré ce défoulement salutaire et provisoire, le roman s'achève toutefois peu ou prou comme il a commencé, par un repas familial éprouvant et raté, les voyages n'ont permis au narrateur ni de trouver  l'inspiration, ni la sérénité, ni un semblant d'intérêt pour les autres.Oui ce que j'aime finalement chez Nicolas Fargues, c'est que le désanchentement et la mélancolie finissent toujours par percer sous l'apparent détachement et la désinvolture de façade.

Ed. P.O.L, 2012

 

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