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Je lis au lit
30 août 2012

La maison dans l'impasse de Maria Messina

 

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Je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam Maria Messina, auteur sicilienne tombée dans l'oubli ou à peu près, qui a publié ses romans au début du XX° siècle. Femme et italienne du sud, et pourtant écrivain, moi je vous le dis, c'était pas monnaie courante à l'époque. En fait je suis tombée par hasard sur ce livre... en faisant le ménage des vieilleries dans les étagères de mon cdi au lycée, et attirée par la jolie couverture actes sud représentant deux jeunes femmes robe et chapeau 1910, je me suis dit qu'il ferait l'affaire dans un moment de désoeuvrement. Et bien bonne pioche, ce petit roman s'avère complètement innattendu, à la fois par l'histoire terrible qui est racontée que par le style de l'auteur, une écriture précise, analytique, suggestive. L'histoire, c'est celle de deux soeurs vivant dans la même maison, l'une mariée au maître de maison, l'autre servant peu ou prou de bonne, de servante, de gouvernante... et de maîtresse à son beau-frère. Un curieux ménage à trois est donc évoqué dans ce livre, mettant à nu les hypocrisies et les fausses convenances de la société de l'époque, de la famille, terreau de toutes les cruautés. Ces deux soeurs Nicoletta et Antonietta vivent confinées dans leur maison comme des poissons rouges dans un bocal trop petit d'eau croupie, elles sortent rarement, au service de Don Lucio, l'époux d'Antonietta. On a du mal à imaginer aujourd'hui une telle soumission féminine, une telle servitude à la fois volontaire et irraisonnée et qui confine au délire. Les deux femmes frémissent à la moindre parole du chef de famille, anticipent tous ses désirs, étouffent tout ce qui pourrait ressembler à un semblant d'autonomie et bossent toute la journée pour le seigneur et maitre des lieux. Et quand Antonietta devient mère pour la troisième fois et se remet avec difficulté de son accouchement, c'est donc Nicoletta qui passe à la casserole, c'est à dire dans le lit de Don Lucio, sans oser protester ni se rebeller. Car ma foi, si elle succombait dans la joie, je ne trouverais rien à redire hein, je serais la première à encourager la trahison de la jeune soeur envers son aîné, tant sa vie est d'une monotonie effrayante. Mais non, là, cette union est quasi forcée, ultime preuve de la toute puissance de Don Lucio sur les deux femmes qui vivent chez lui. Ecoeurant.

Les deux soeurs en viennent alors à se détester, se hair, comme deux poules dans un poulailler se disputent l'unique coq. Elles qui étaient si proches et intimes au début du récit ne peuvent plus se voir en peinture et vivent dans un perpétuel affrontement. L'atmosphère devient irrespirable pour les trois enfants, et notamment pour Alessio, l'aîné qui a été élevé en partie par sa tante et qui l'aime tout autant que sa propre mère. Lui qui représente l'espoir, la fougue de la jeunesse, le désir, l'innocence aussi va se perdre dans cet univers de folie. Dans l'impossibillité de réconcilier les deux femmes, déchiré, Alessio, deviendra la victime de ce drame familial.

Ce texte est incroyablement noir, la condition des femmes siciliennes des années 1900 est peinte de manière effrayante. La beauté du monde, la joie, se sont retirées du monde évoqué par Maria Messina, aucune place pour l'espoir ou la lumière. Une seule scène fait exception, la scène où toute la famille sort se promener au bord de la mer alors que Don Lucio est parti en voyage. Libérés du joug du tyran, au soleil, femmes et enfants se sentent comme meilleurs et allégés, hors de "la maison dans l'impasse sombre" où ils sont confinés la plupart du temps. Mais ce moment ne dure guère, il n'est qu'une fugace éclaircie, la vision fugitive de ce qu'aurait pu être le bonheur.

Ecoeurant mais donc aussi poignant.

 

 

 

 

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