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Je lis au lit
3 avril 2012

Intimité de Hanif Kureishi

intimite_couvVoici le livre le plus radical et le plus définitif qui soit sur le thème de la désillusion amoureuse. En tout cas parmi les nombreux livres sur le sujet que j'ai lus, vu que je n’ai pas la prétention de tout connaître n’est-ce pas... Livre terrible aussi, tant la lucidité et le désespoir qui se dégagent de ces pages prend aux tripes.

Le narrateur vit en couple depuis six ans avec Susan, il a deux petits garçons et a décidé de bazarder tout cela, sa vie lui étant devenue insupportable et insipide. Nous voici immergés dans ses pensées le temps d’une soirée et d’une nuit, jusqu’au matin, moment où il va prendre son sac et partir. Réflexions sur le couple, l’amour et le désir, digressions, souvenirs vont se succéder jusqu’à l’écoeurement, entrecoupés de brèves scènes où apparaissent sa compagne et ses enfants. Et tout cela via un style chirurgical, précis, où les mots et les phrases font mal pour rien ne nous épargner.

Le titre du roman, et je ne sais si en anglais le terme « Intimacy » est aussi porteur qu’en français, est génialement trouvé tant il déploie des significations diverses et évocatrices. L’intimité c’est ce qui manque justement le plus dans le couple du narrateur. Le couple, ce « lieu » vécu aujourd’hui paraît-il comme un refuge où l'on espère idéalement trouver le maximum de confiance et de sécurité affective, tant ce terme évoque dans nos pauvres esprits illusionnés le désir partagé, la tendresse, la joie de vivre devient synonyme ici de l’enfer et de la compromission. Oui, Kureishi est bien le champion quant il s’agit de décrire la déception et l’amertume. Brillamment, il nous fait descendre de notre nuage, si jamais vous y étiez, désolée, car le couple c’est avant tout dans ce roman le lieu de la calamité, de la destruction mutuelle et de la perte de l’estime de soi. Le narrateur a renoncé ainsi définitivement à toute intimité positive avec Susan, elle le rejette et ne supporte plus qu’il la touche, l'humilie sans cesse. Partir, tout lâcher, c’est alors le seul moyen, terrible et paradoxal, de trouver une autre intimité, la seule qui restent aux êtres qui se sont fait du mal : « Blesser quelqu’un c’est entrer par effraction dans son intimité ».
L’intimité perdue, il va falloir alors la chercher ailleurs, car elle est avant tout ce qui fait vivre, le désir et l’élan qui fait avancer. Le narrateur nous dit ainsi être amoureux d’une autre femme, Nina, qu’il n’a pas su garder, faute de se décider à quitter Susan plus tôt. Il la désire à la folie, des scènes érotiques dans le roman nous en apprennent beaucoup  justement sur leur intimité passée. Le couple n’est- ce pas finalement cela, qui justifie tout et qui est une condition nécessaire : un désir fou et toujours renouvelé pour l’autre ? Pourquoi chercher midi à quatorze heures, sans ce désir, le couple n’est-il pas mort ? Ainsi, les réflexions sur le désir sont passionnantes dans ce texte, sans jamais être pesantes ou dogmatiques. Le narrateur en arrive à le comparer, ce désir, à « l’anarchiste originel, au premier agent secret », que les gens veulent « éradiquer » car il ne « se conforme pas à nos idéaux »… conflit inévitable et rebattu entre notre idéal de vie,  et le désir… il y a quelque chose de deleuzien chez Kureishi, du moins pour ce que je crois connaître de Deleuze ! Car dans un même mouvement l’auteur nous dit que le désir « se moque de tous les efforts humains et leur donne un sens », il est le fouteur de désordre et pourtant la justification de l’existence : « le monde est une jupe que l’on relève », ce à quoi on ne peut renoncer si l’on ne veut pas mourir vivant.
Rester ou partir, ces deux options sont incarnées par les deux amis du narrateur, Asif et Victor. L’un voit le mariage comme « une bataille, un voyage terrible, une saison en enfer et une raison de vivre, dans lequel il faut être bien équipé dans tous les domaines et pas seulement pour le sexe », l’autre y a renoncé très vite,  laissant ses enfants désespérés faire les pires conneries après la séparation de leurs parents, et passant son temps à picoler, et à faire de nouvelles rencontres, sans rien regretter. Entre ces deux hommes, le narrateur, on le voit, n’est pas aidé dans son choix, il a simplement sous les yeux, personnifiés, les deux chemins qui s’offrent à lui. Mais, on le sait, il a déjà choisi.

L’intimité c’est aussi celle que l’on trouve avec ses enfants, et là Kureishi nous offre de très belles pages pleines d’amour et de tendresse infinis. Quand son petit garçon de trois ans se réveille et vient le trouver dans le salon, tout ensommeillé et tout pisseux, il se souvient ainsi des questions que celui-ci lui pose sans arrêt : « pourquoi la lumière part la nuit, pourquoi les femmes ont des seins, et bien sûr, où vont les gens quand ils meurent ? ». Il se demande alors qui va tenter d’apporter des réponses à ses enfants lorsqu’il ne sera plus là… Le déchirement éprouvé à quitter la maison et à laisser ses deux garçons est d’autant plus terrible qu’il sait que, désormais, il les verra peu, que c’est Susan qui s’en occupera la majeure partie du temps, et qu’il sera même sans doute un jour remplacé par un autre homme à la maison.

Désespoir et mélancolie, vous l’avez compris, tressent la trame du roman, ne le lisez pas si vous êtes un peu à couteau tiré avec votre femme ces temps-ci et d’une humeur chagrine.
Heureusement Kureishi parvient à nous faire rire parfois sur le dos du malheur, mais oui, mais oui. C’est le cas dans la scène irrésistible où le narrateur et sa femme vont voir une thérapeute de couple, vieille bique coincée et suspicieuse qui tente de faire la morale au personnage masculin et lui suggère de troquer l’ambition du bonheur à deux contre un misérable « contentement » ! C’est le cas aussi dans une scène pathétique mais drôle où on voit le narrateur se masturber péniblement dans la salle de bain sur une petite culotte sale appartenant à Susan... l’auto-dérision fonctionne là à fond.

 Enfin, et surtout, dieu merci quelques éclaircies, et elles sont particulièrement réussies  qui plus est, apparaissent ça et là dans ce texte. Le dernier paragraphe du livre, pour ne citer que celui-là, est ainsi poétique, plein d’une espérance contenue, évoquant un moment magique et suspendu en compagnie d’une femme. Nina ou Susan, ou une autre, peu importe, là tout devient parfait avec le souvenir de ce bonheur passé qui semble être possible de retrouver.
« Seigneur apprends-moi l’insouciance », cette injonction prononcée par le narrateur, pourrait  bien être la phrase ultime de ce livre implacable mais magnifique.

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