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Je lis au lit
16 mars 2012

Faire l'amour de Jean-Philippe Toussaint

faire_l_amour_couvLorsque j'ai lu pour la première fois Faire l'amour, j'ai été décontenancée et même un peu déçue. Quoi l'auteur de La salle de bain ou de La télévision, livres que j'adore pour leur drôlerie et leur vision décalée de l'existence, devenait un peu trop sérieux, au point de choisir ce titre à la limite racoleur et même de nous bassiner avec le récit d'une rupture amoureuse? Allons Jean-Philippe, ressaisissez-vous...

Et puis j'ai repris le livre, quelques années plus tard, hier pour tout dire. Et là j'ai aimé. Beaucoup. Que s'était-il passé entretemps?... Je ne vais pas vous raconter ma vie, ce n'est pas le propos de ce blog, n'est-ce pas? Mais en tout cas je suis devenue capable d'apprécier, et  ô combien, ce livre qui ne raconte rien, si ce n'est l' errance du narrateur pendant quelques jours entre Tokyo et Kyoto, et les tous derniers moments d'un couple à la dérive. Ne souriez pas d'un air entendu, une rupture, cela est certes douloureux à vivre mais cela est aussi très difficile à raconter. D'ailleurs, il n'y a le plus souvent rien à raconter, tout comme il n'y a rien à faire quand on rompt, si ce n'est attendre... que cela passe : rompre est ainsi plutôt "un état qu'une action, un deuil qu'une agonie" souligne ainsi très justement Toussaint avec le choix du mot précis qui le caractérise. Oui, "un deuil", puisque nous voilà impuissant devant la calamité, et non "une agonie" car rien ne sert de se battre et de s'épuiser inutilement dans l'espoir que la souffrance passe plus vite.
Des raisons de cette rupture le narrateur ne nous dit rien. Nous sommes placés devant le fait accompli. Marie est "la femme qui pleure", elle laisse continuellement les larmes couler sur ses joues, et cela même au moment où il ne faut pas, en réunion par exemple, devant ses collaborateurs japonais gênés et ébahis. Le narrateur est semble-t-il est à l'initiative de cette séparation, il nous dit seulement que Marie et lui sont ensemble depuis sept ans, et qu'il ne supporte plus parfois "le mal qu'ils leur arrivent de se faire" mutuellement, alors que la plupart du temps, ils sont bien ensemble. On comprend entre les mots qu'il n'envisage plus un amour imparfait qui s'accomoderait de petits arrangements et des ratés de la vie quotidienne, qu'il ne peut plus vivre la tension que génère leur relation.
Alors il faut massacrer ce qui est abîmé. Le petit flacon d'acide, poison dissimulé dans un banal flacon d'eau oxygéné et avec lequel le narrateur se ballade tout le temps, matérialise ainsi la possibilité de brûler, de mettre en pièce la beauté que l'on sait perdue, cet amour qui s'achève, telle la  fleur délicate qu'il désintègre à la fin du récit. Il y a quelque chose de risible mais aussi de profondément désespéré dans l'image de ce personnage rassuré par l'idée qu'il transporte partout avec lui la possibilité de détruire soudainement et comme instantanément ce qui le fait souffrir, que ce soit autrui, et donc Marie, ou lui -même. Illusion certes réconfortante mais irréaliste, une relation amoureuse de sept ans ne pouvant s'effacer comme on peut piétiner d'un simple geste une fleur.

Pour parler de Faire l'amour, il faut aussi évoquer la force visuelle et cinématographique incroyable du roman. Plusieurs longues scènes, lents travellings, se déroulent ainsi de nuit, dans les rues de Tokyo, ou nous font découvrir encore la ville encore vue du haut d'un immeuble en contre-plongée. Toussaint nous transmet ainsi son goût pour les lumières en tout genre, les néons publicitaires, les guirlandes de couleur clignotantes, les enseignes publicitaires... La mégalopole japonaise nous apparaît ainsi telle une gigantesque installation vidéo, fragile certes puisque les tremblements de terre peuvent l'anéantir à tout moment tout comme on peut mettre à mal une oeuvre d'art, mais tout de même fascinante et sidérante. Et Marie, au Japon pour préparer une exposition, semble ainsi  évoluer avec son compagnon dans un immense musée à ciel ouvert.  J'ai vu des photos de l'exposition que Toussaint présente en ce moment au Louvres. Les néons lumineux de couleurs vives y réappparaissent, inscrivant en lettres fluorescentes des mots choisis ("livre, Louvres"), Toussaint se réappropriant artistiquement ce qui est habituellement le domaine de la publicité. Dans le roman, c'est bien la ville qui ressemble à une installation, et  une scène nous montre aussi  le personnage masculin observant sa compagne par l'intermédiaire des caméras de surveillance du musée où elle expose... Marie  devient alors une oeuvre d'art elle-même, aussi belle que les objets et les robes étranges qu'elle va installer. Il  ressort de tout cela l'impression d'un univers profondément esthétique, mais aussi déréalisé,  aux frontières du fantastique, dans lequel les deux personnages jouent  leur dernière scène, la plus mélancolique et la plus désespérée. 

J'aime encore et tout particulièrement que Jean-Philippe Toussain mêle à cette mélancolie un sens de l'absurde de l'existence tout à fait désopilant, transmis au travers de tout petits détails visuels et via un style méticuleux et  millimétré. Là, je retrouve bien l'auteur de La télévision, ce livre qui m'avait enchanté. Le couple de Faire l'amour finit ainsi sa première nuit à Tokyo en chaussettes de tennis achetées dans une petite boutique pour ne avoir froid aux pieds dans la neige, Marie vêtue pourtant de sa plus belle robe d'exposition bleu nuit. Mais ne sommes-nous pas souvent ainsi, à la fois sublimes et pathétiques, beaux et ridicules, lorsque l'amour nous fait défaut, et que "ce drame infinitésimal", la perte de l'autre, atteint notre vie?

 

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